Byzance
droungarios qui commande ces dromons.
— Vous devriez savoir maintenant que même tous vos coffres d’or ne peuvent acheter le destin d’une personne née dans la pourpre.
— Il m’est venu à l’esprit que le droungarios ne doit pas savoir pourquoi son impératrice exige si désespérément votre retour. Vous venez de me dire vous-même que la position de Zoé serait menacée si une Macédonienne aux reins plus féconds était présentée au peuple. Je ne crois pas que Zoé soit encore aussi folle que vous le dites.
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Les coques des galères varègues disparurent derrière les vagues noires. Le vent soulevait de l’embrun et les deux passagers du minuscule canot furent bientôt trempés. Maria claquait des dents ; Haraldr essayait de stabiliser l’embarcation avec un aviron et tenait la jeune femme avec l’autre bras. Elle guida la main de Haraldr vers la doublure de sa cape. Il sentit la lame dure d’un poignard sous la fourrure douce.
— S’il menace de vous arrêter, je m’en servirai, dit-elle d’une voix ferme malgré les tremblements qui l’agitaient. Vous savez que je n’hésiterai pas.
— Inutile. Je me jetterai à l’eau. Halldor et Ulfr reviendront à ma recherche. Je survivrai et il ne faut pas que vous mourriez.
Une vague souleva la barque et la laissa tomber soudain dans le creux de la houle.
— Ce que je dois vous dire, c’est ce que je n’ai pas eu l’occasion de vous dire les autres fois où nous avons pris des risques de ce genre. Trop de choses peuvent se produire si notre tentative échoue. Nous risquons de… il peut se passer longtemps avant que nous soyons de nouveau réunis. Des années. Je pourrais mourir dans le Nord avant que…
Il secoua sa tête trempée, comme si en chassant les gouttes d’eau salée il pouvait bannir ce destin.
— Notre sort est en suspens, reprit-il, c’est tout ce que je sais. Et peut-être n’aurai-je jamais de nouveau cette occasion. Où que vous soyez, dit-il avec un éclair bleu dans le regard, je vous retrouverai. Je retiendrai le dernier dragon pendant toute l’éternité s’il le faut, mais je vous reprendrai dans mes bras. Je vous le promets. Je tiendrai même cette promesse au-delà de mon tombeau. Je vous retrouverai et je vous reprendrai dans mes bras. Ce ne sera pas notre dernière étreinte.
Ils restèrent enlacés, sans parler, jusqu’à ce que les lumières des dromons apparaissent au-dessus d’eux comme de redoutables étoiles dans un univers de ténèbres.
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Le droungarios Jean Moschos plongea ses mains puissantes dans le coffre d’ivoire et en retira des poignées d’or. Les solidi retombèrent sur le tas avec un bruit qui parut terne dans le grincement du vent violent. Il posa ses yeux gris glacés sur Haraldr.
— C’est cent fois plus que je ne peux en espérer quand je quitterai ces fonctions, dit-il. Mais ma vie, c’est les bateaux. Survivre sur un domaine d’Arménikoï après avoir été relevé de mon commandement serait pire que la mort.
— Vous pourrez acheter vos propres bateaux. Pour chasser les pirates sarrasins. Naviguer à votre guise et vous battre quand cela vous plairait au lieu d’attendre sur les quais que votre empereur décide de faire peur à quelques enfants nus sur les plages de Chersonèse. Regardez ce qui se passe ce soir. Est-ce une manœuvre glorieuse pour trente bateaux de guerre ? Ramener au bercail la maîtresse des robes de Sa Majesté ? On vous demandera ensuite d’envoyer vingt dromons en Libye pour capturer un nègre qui éventera le visage de l’impératrice. D’ailleurs, ce n’est pas elle qui prend les décisions. Le Monomaque sait que vous êtes un commandant capable.
Haraldr glissa la main sous sa cape et en sortit une grosse bourse de cuir pleine de pièces d’or qu’il posa au-dessus du contenu scintillant du coffre.
— Tenez, vous donnerez ceci à un nain du nom de Théodocrane, en lui disant que vous tenez à ce que l’empereur vous conserve votre commandement.
Moschos se mit à gratter sa barbe noire.
— J’ai entendu parler de ce nain, dit-il en secouant la tête. Je ne sais pas.
Il secoua la tête de nouveau.
— Écoutez, lui dit Haraldr, mes hommes vont revenir me chercher. Beaucoup de vos hommes vont mourir. Pour quelle raison ? Pour une servante parée d’un titre pompeux. Si je ne l’aimais pas autant avec la tête-qui-ne-pense-pas, je vous la rendrais sans doute avec un haussement d’épaules. Mais chaque
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