Byzance
avec animation. Sans arme, et sans sa langue puisqu’il n’aurait plus d’interprète, Haraldr se sentit nu et enchaîné. Cette affaire d’Argyros pouvait n’être qu’une ruse. Mar, si c’était lui, pouvait simplement le tuer ici, pour l’amusement de l’élite décadente de la Ville impériale.
Les trois hommes et la femme se dirigèrent vers Haraldr, ce qui entraîna les autres invités à leur suite. La beauté de Maria endormit les craintes du jeune homme : si c’était sa Walkyrie, Odin lui faisait une faveur jusque dans sa mort. Maria avançait comme une danseuse, en balançant légèrement les hanches, révélant une silhouette étourdissante chaque fois que son flanc glissait contre sa tunique. Son rire était une musique, et tandis qu’elle parlait, ses doigts blancs délicats caressaient l’air langoureusement.
Elle arriva assez près pour qu’il sente son parfum, une senteur indescriptible de fleur exotique après la pluie, mais avec un soupçon de musc. L’arc de ses lèvres se détendit avec ironie, presque avec coquetterie.
Elle parla à la Marmotte puis leva les yeux vers Haraldr.
— Elle se demande, traduit la Marmotte, si vous êtes au courant de la légende des Romains selon laquelle une race blonde nous détruira.
Haraldr fut stupéfait. Maria avait parlé comme s’il s’agissait d’une banalité mais la question était à la fois menaçante et triste. « Laissons répondre Odin », songea-t-il.
— Parmi nous, dit-il d’un ton égal qui le surprit, c’est le corbeau à plumes noires qui annonce le malheur.
La Marmotte traduisit. Les sourcils en ailes de mouette de Maria se soulevèrent légèrement et ses yeux regardèrent Haraldr avec un mélange de surprise et d’amusement. Elle parla de nouveau et la Marmotte se tourna vers Haraldr.
— Elle se demande si vous connaissez ce prince tauro-scythe que tout le monde recherche.
De nouveau l’épée faucha les genoux de Haraldr. Auraient-ils torturé Gleb ? Combien d’autres savaient ? Il sentit son front soudain brûlant. Même Odin fut incapable de lui souffler une réponse.
L’hétaïrarque sauva Haraldr par cinq ou six phrases dans un grec onctueux à l’accent parfait. Il termina son discours par un sourire ironique mais ne parut pas amusé. Dans le silence qui suivit, Haraldr crut que tout le monde entendait battre son cœur. Les Byzantins se mirent à chuchoter entre eux. L’hétaïrarque se tourna vers Haraldr.
— Je leur ai dit de cesser de vous tourmenter avec cette légende, dit-il en langue du Nord (il avait l’accent islandais). Je leur ai dit que si un seul homme du Nord descendait le Bosphore dans un tronc creusé, la moitié de la population de la Grande Ville le prendrait pour ce mythique prince du Nord à la tête de la force qui mettrait Constantinople à sac. C’est incroyable. Ils sont entourés de toutes parts par des ennemis réels, mais ils ont décidé que les hommes blonds du Nord, qui les ont loyalement servis pendant soixante ans, vont abattre leurs murailles. Tout cela à cause d’un seul incident perdu dans la brume des temps, et de quelques prophéties. Quand vous connaîtrez ces gens aussi bien que moi, vous vous apercevrez qu’en dépit de tout leur savoir ce sont parfois des gamins crédules. Je présume que de fausses accusations contre vous ou l’un de vos hommes doivent vous inquiéter. Ne vous en faites pas. Personne n’a découvert ne serait-ce qu’un seul cheveu de cet hypothétique prince du Nord, et les autorités ont refermé le dossier. Tout a commencé par des faux bruits, et s’éteint maintenant en ragots de fin de banquets.
Haraldr, soulagé, s’inclina. Cet homme ne pouvait pas être son ennemi. Peut-être était-ce même un rival de Mar Hunrodarson.
— Merci. Je m’aperçois que j’ai beaucoup à apprendre.
— Nous aurons l’occasion de nous reparler, l’ami, répondit l’hétaïrarque d’un ton aimable, en levant les sourcils d’un air de conspirateur.
Haraldr avait-il enfin trouvé un allié, un homme du Nord connaissant bien les Griks et leurs curieuses manières ? Il venait déjà d’obtenir des renseignements sans prix.
La conversation dans la langue gutturale des Barbares avait lassé Maria. Elle effleura de ses lèvres l’oreille du plus robuste des deux officiers des Scholae qui lui faisaient escorte. Son sourire, ses murmures firent à Haraldr le même effet que si elle avait posé la main sur son sexe : une
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