Byzance
vous seriez en sécurité là-bas, dit Giorgios avec de la tristesse et de la crainte dans les yeux.
Maria entrouvrit légèrement ses genoux et frotta le haut de ses cuisses avec ses doigts, juste au-dessous de sa vulve – le geste machinal et distrait d’un animal qui fait sa toilette, mais par lui-même d’un érotisme à couper le souffle. Elle regarda Giorgios.
— Si tu ne te crois pas capable de me protéger, ne viens pas.
La nuit, les eaux noires enveloppaient la galaxie étincelante de Constantinople. Haraldr connaissait à présent la source des nombreuses lumières. Derrière lui, les flambeaux le long de la grande muraille ; de chaque côté, sur les pentes de l’arête centrale de la ville, les quais et les ateliers encore animés ; juste devant, vues comme du haut du mât d’un bateau, les lumières du Palais impérial. Il se tenait au centre de cette merveilleuse constellation, et tout autour de lui la Ville impériale brillait et scintillait de la splendeur de sa vie nocturne. Ce soir, vêtu de soie et parfumé de myrrhe, Haraldr sentit qu’il en faisait partie. Ses craintes semblaient enflammer son ardeur pour cette nouvelle femme qu’était Byzance, et si périlleuse que fût cette étrange passion, il n’avait pas envie qu’elle cesse.
— Nicéphore Argyros possède un palais plus grand que celui-ci sur la côte asiatique du Bosphore, eh oui, lança la Marmotte au milieu de la rêverie de Haraldr. Et son palais près d’Ancyre est encore plus grand. Oui, oui, Nicéphore Argyros possède le tiers du thème de Bucellarion. Mais il a quitté ses domaines de Macédoine à la mort du Bulgaroctone. Il pensait que jamais ses successeurs ne pourraient contenir les Bulgares – oui, il le pensait. Mais c’est son palais de Byzance qu’il préfère. Il déteste la vie provinciale, et cette terrasse est son endroit préféré.
« Les successeurs ne sont apparemment ni aussi puissants ni aussi compétents que l’ancien Bulgaroctone », enregistra Haraldr. Malgré le luxe enivrant de la soirée, il s’efforçait de réunir toutes les bribes de renseignements utiles.
Il parcourut des yeux la terrasse élevée au-dessus du troisième étage du palais d’Argyros. Il imaginait très bien qu’un homme possédant un tel trésor n’ait envie de rien d’autre. Cet Éden aérien avait été planté d’arbustes à fleurs, de buissons impeccablement taillés et de parterres de fleurs. Des pelouses moussues entouraient des bassins alimentés par des jets d’eau. Ici et là de charmants pavillons de marbre, éclairés par des lampes à huile protégées par des plaques de verre. Des allées, pavées également de marbre, reliaient ces pavillons.
— Retournons dans la grande salle, Haraldr Nordbrikt, Nicéphore Argyros préfère conclure ses affaires avant le dîner, oui. C’est son idée.
Ils descendirent un escalier de marbre en spirale et se retrouvèrent dans une salle du palais, beaucoup plus petite que celle de l’empereur mais plus splendide encore. Elle était pavée de marbre vert pâle avec des incrustations de volutes d’argent et d’or pur ; les candélabres qui l’éclairaient semblaient de grands pins d’argent portant des vingtaines de cônes de verre garnis de lumière.
La foule rassemblée constituait par elle-même une décoration : tuniques de soie aux somptueuses broderies d’or, cols hauts, longs ourlets entrelacés d’or, manches amples. Sur de nombreuses jeunes femmes le tissu ne semblait guère qu’une couche de peinture irisée. Presque tous les hôtes étaient vêtus aussi richement qu’un prince ou une princesse de Rus mais aucun d’eux n’était l’objet d’autant d’égards qu’un misérable mendiant en haillons. Sa barbe et ses cheveux blancs étaient mal taillés ; sa peau desséchée, d’une pâleur de fantôme, était piquetée de croûtes ; et l’on pouvait sentir son odeur à douze coudées. Mais les princes les plus imposants et leurs compagnes couvertes de bijoux se pressaient autour de l’épave humaine puante, baisaient sa main ratatinée et glissaient des pièces d’or entre ses doigts bien que le vieux mendiant les laissât simplement tomber par terre.
Haraldr n’était manifestement que l’attraction secondaire de la soirée. Nicéphore Argyros, de petite taille, déjà vieilli, avec une seule touffe de cheveux gris sur le crâne et une bedaine qui faisait gonfler sa tunique de soie rouge et or, faisait de temps à
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