Byzance
autre un geste discret dans la direction de Haraldr et expliquait sans doute à ses invités l’identité du géant.
Argyros se dirigea vers Haraldr. « Bon, se dit celui-ci, faisons ce pour quoi je suis venu avant que ce luxe ne me fasse tourner la tête. » Mais un eunuque chuchota quelques mots à l’oreille d’Argyros et celui-ci obliqua vers le vestibule d’entrée à l’autre bout de la pièce. Les portes s’ouvrirent, un groupe d’eunuques en costumes somptueux s’élança dans la pièce, suivi par un groupe de très jeunes et très jolies femmes. Presque toutes avaient les cheveux en rouleaux de chaque côté de la tête, et les nattes serrées étaient rehaussées de spirales de perles et de pierres scintillantes. Elles s’efforçaient toutes de paraître graves et dignes, mais à peine entrées elles se mirent à parler avec animation puis à glousser de rire avec les autres invités, et se mêlèrent enfin à la foule. Bientôt, tout le monde se tourna vers les portes.
« Elle n’est pas réelle », telle fut la première pensée de Haraldr quand la femme entra dans la salle. « C’est le produit d’artistes griks capables de surpasser la nature. » Ses cheveux étaient aile-de-corbeau et les perles fixées dans les deux nattes jumelles scintillaient comme les lumières de la ville. Même depuis l’autre bout de la pièce, ses yeux bleu cobalt semblaient lumineux. Elle portait une tunique de soie albâtre décorée de motifs floraux d’or, mais devant et derrière deux longs pans de brocart carmin, piquetés de pierreries, dissimulaient chastement les formes de son corps.
— Maria ! dit la Marmotte d’un ton de vénération, comme si le nom par lui-même était un aveu d’amour.
Sans raison, Haraldr répéta le nom à mi-voix. Il se rappela que Maria était le nom de la mère de Kristr, la Reine du Paradis.
— C’est la cousine de Sa Majesté impériale, la maîtresse des robes, expliqua la Marmotte.
Puis il s’avança vers la vision en attirant Haraldr à sa suite. Deux jeunes gens arrogants, portant l’uniforme des Scholae de l’empereur, s’étaient avancés à la suite de Maria. Les sentiments du plus mince des deux se lisaient dans ses yeux – et Haraldr se demanda ce que son propre visage pouvait bien révéler en cet instant. Un autre homme entra après les deux officiers – un homme du Nord – et Haraldr eut l’impression qu’un coup d’épée venait de lui faucher les jambes : s’il se penchait en avant d’un pouce, il allait tomber.
L’homme du Nord était un géant encore plus grand et plus large d’épaules que Haraldr, mais il portait sa force énorme avec grâce et désinvolture. Il avait une bouche sensible, légèrement féminine, et un front haut, intelligent ; ses cheveux, fins comme de la soie, tombaient raides sur son col paré de bijoux et semblaient saupoudrés d’or. Haraldr avait imaginé que Mar Hunrodarson était un détestable matamore de la même espèce que Hakon ; cet homme avait la noble stature d’un roi. Mais était-ce bien Mar ? Si ce n’était pas lui, qui était-ce ?
— Cet homme ? demanda-t-il.
Le petit visage sombre de la Marmotte s’était figé.
— L’hétaïrarque, répondit-il d’une voix qui tremblotait.
— Son nom ?
— L’hétaïrarque, répéta faiblement la Marmotte.
Il agita le bras comme s’il se noyait, apparemment dans l’espoir d’attirer l’attention de son maître.
Nicéphore Argyros s’avançait déjà pour accueillir l’homme du Nord avec une effusion qu’il n’avait témoignée à aucun autre invité. Il bavarda avec lui, sans doute nerveusement car ses mains s’agitaient. L’hétaïrarque leva les yeux en direction de Haraldr, mais parut peu intéressé. Maria se tourna vers l’hétaïrarque et, d’un geste familier, vaguement sensuel, toucha la manche de l’homme du Nord avec sa belle main blanche. Haraldr put voir le contour de son bras à travers le voile de sa robe. Les deux officiers n’essayèrent même pas de dissimuler qu’ils n’appréciaient pas ce geste. Haraldr comprit aussitôt leur dépit : pendant un instant, il devint lui aussi un gamin jaloux, enragé, comme s’il surprenait son grand amour secret dans les bras d’un autre.
Nicéphore Argyros fit un geste en direction de la Marmotte et, sans un mot, celui-ci décampa vers son maître et l’hétaïrarque. Les trois hommes et Maria se mirent à dévisager Haraldr tout en discutant
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