Byzance
personnes surgirent, si brusquement que l’auberge parut les absorber d’un coup. Des marins en tuniques grossières, des marchands aisés en vêtements de soie de qualité médiocre ; plusieurs prostituées jeunes, pas trop laides ; des musiciens avec des luths et des flûtes ; des chiens qui jappaient ; des singes qui criaient et une petite panthère tachetée tenue en laisse. La musique tourbillonnait en rythmes ondoyants, et presque aussitôt une femme se mit à danser sur la table. Après un très bref numéro, un des Vénitiens vêtus de soie la fit descendre de force et se mit à lui ôter sa robe.
Les yeux de Maria s’allumèrent. Plusieurs nouveaux venus remarquèrent sa présence et échangèrent des remarques pendant un moment, puis lui firent signe de danser. Alexandros la prit par le bras et voulut l’entraîner vers la porte mais elle s’écarta. Elle ôta le long pallium orné de pierreries qui recouvrait sa tunique de voile sur le devant et dans le dos, et elle le lança à Giorgios. Elle monta sur la table.
Les Vénitiens reculèrent légèrement, frappés par cette vision à peine revêtue de soie blanche presque transparente. Elle se mit à danser lentement, avec les mouvements sinueux, parfaitement maîtrisés, d’une professionnelle. La tunique limitait le déplacement de ses jambes ; elle la remonta sur ses hanches et la noua. Elle se mit à tourner plus vite et la soie glissa plus haut. Le triangle noir mit le public en feu. Deux marchands voulurent se rapprocher de la table. Alexandros écarta sa cape et tira lentement son glaive. Une main s’avança et Maria lui lança un coup de pied. Une dizaine de mains s’avancèrent et la saisirent.
Alexandros et Giorgios frappèrent les Vénitiens du plat de leurs épées. Maria se libéra soudain et sauta de la table sur le dos de Giorgios. Ils purent battre tous les deux en retraite uniquement parce que le pallium de Maria était tombé dans la mêlée et que la plupart des Vénitiens le jugeaient aussi précieux et beaucoup moins contesté. Trois d’entre eux s’écroulèrent sur le sol, en sang, tandis que les autres déchiraient le vêtement en lambeaux et se disputaient les pierres.
Alexandros et Giorgios – Maria toujours sur son dos – s’élancèrent vers la crête de la colline qui scintillait encore au loin. Au bout de cinq ou six rues, ils s’arrêtèrent pour vérifier que personne ne les suivait. Giorgios enveloppa Maria dans sa cape ; elle avait sa tunique en lambeaux. Son visage n’exprimait rien, mais ses yeux étincelaient, leur bleu visible même dans le noir.
— Il y a un parc un peu plus haut, dit-elle.
Comme si de rien ne s’était passé à l’auberge.
C’était un petit jardin bien entretenu, un refuge au milieu d’un quartier de maisons prospères. Une ligne de cyprès entourait un petit bassin et se prolongeait jusqu’à un pavillon de marbre. Maria étala sur la pelouse tondue la cape de Giorgios.
— Alexandros, dit-elle, va au coin guetter les cursores.
Les cursores étaient les veilleurs de nuit qui assuraient la police de la ville. Alexandros regarda son ami, puis sa maîtresse, haussa les épaules et s’en fut.
Maria, d’une main fiévreuse, ôta les vêtements de Giorgios. Pendant un instant elle caressa avec vénération la hampe dressée. Quand il la pénétra, elle eut le souffle coupé, comme s’il la poignardait, et ses ongles firent perler le sang dans le dos de Giorgios. Ils roulèrent dans l’herbe et elle éprouva son plaisir presque aussitôt. Elle poussa un petit cri aigu puis s’accrocha désespérément à l’homme.
— Mère sainte, comme je t’aime, murmura-t-elle.
Elle se tut et se mit à lui lécher le cou, tout en se demandant : « Oui, je t’aime, Giorgios, mais pourquoi ai-je senti le Tauro-Scythe en moi, comme un couteau déchirant mon ventre ? »
Deuxième partie
« Ce sont des rebuts de l’empire, observa le cavalier, les émanations des égouts où ils passent leurs jours, cachés, loin du soleil et de la police. Des paysans arméniens, des voyous séleucides, des criminels inutiles, tous les exclus venus dans la Ville impériale mener une existence de cancrelats humains, d’insectes à deux pattes qui quittent leurs sombres retraites la nuit venue, pour couper les bourses et les gorges. » Le cavalier compta cinq de ces prédateurs nocturnes ; ils avaient construit une sorte de barricade d’ordures en travers de la ruelle sans
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