Byzance
très lente, et employa elle aussi le nom de Joannès. Impossible de se méprendre sur le ton musical de sa voix, c’était celui de la raillerie agacée.
Joannès répondit d’une voix grave et précise, presque comme s’il avait soudain chassé les vapeurs de l’ivresse. Sa langue formait comme une épaisse masse reptilienne qui glissait sur ses dents d’en bas quand il parlait.
Maria répondit par une réplique rapide et enflammée. Quand il sembla que la déesse et le moine allaient rester bloqués dans cet échange de regards durs et de paroles hostiles, Nicéphore Argyros se leva, dit quelques mots aux invités et frappa dans ses mains. En un éclair de couleurs vives et de mouvements éblouissants, plusieurs acrobates vêtus de pagnes bondirent sur la table. Les invités éclatèrent de rire et applaudirent. Ayant perdu l’attention de son public, Joannès sortit de la salle. Haraldr remarqua, surpris, que le moine marchait d’un pas beaucoup plus ferme qu’à son entrée. Avait-il feint l’ivresse ? Et qui était-il ? Le grand sorcier de Kristr ?
Les acrobates sautèrent de la table, passèrent dans la grande salle, et tous les invités se levèrent et suivirent. Des danseurs et d’autres acrobates sur échasses faisaient des pirouettes en tous sens sur le rythme étourdissant des cymbales, des flûtes et des instruments à cordes. Des eunuques apportèrent des gobelets de vin, mais beaucoup d’invités faisaient déjà leurs adieux à Nicéphore Argyros. Les jeunes dames de compagnie de Maria étaient retournées auprès d’elle, et les deux officiers des Scholae, ainsi que l’hétaïrarque, bouclaient le ceinturon de leur épée.
Maria se retourna, et les yeux bleus regardèrent dans la direction de Haraldr. Le cœur du jeune homme bondit à l’idée qu’elle pensait à lui comme il pensait à elle. Elle tendit la main vers l’hétaïrarque et, de nouveau, la posa sur le bras de l’homme en un geste si familier qu’il en devenait irritant. Elle lui parla un instant. Puis elle se tourna vers son essaim de jeunes beautés et disparut comme un rêve d’une beauté à faire mal.
L’hétaïrarque se dirigea tout droit vers Haraldr, d’un pas gracieux. Sa lourde épée au pommeau couvert de bijoux battit contre le brocart de sa tunique.
— La dame a un message pour vous, dit-il d’un ton plaisant, avec une touche de paillardise sympathique, d’homme à homme.
Il donna une claque sur l’épaule de Haraldr et ajouta :
— Suivez-moi, je préfère vous le transmettre hors de portée des oreilles curieuses.
Il conduisit Haraldr dans un petit bureau de secrétaire, garni de casiers pour les dossiers, avec des parchemins entassés sur une table de bois toute simple. La pièce était éclairée par une seule lampe à huile en fer, en forme de bélier. L’hétaïrarque se tourna face à Haraldr.
— Vous voulez savoir ? Elle espère que vos cheveux blonds ne provoqueront pas votre ruine avant qu’elle ait l’occasion de vous revoir.
Haraldr fut surpris. Est-ce qu’elle le mettait en garde ou est-ce qu’elle le taquinait ? Quelle était la portée du message ? Pourquoi ce secret ? L’hétaïrarque parut sentir le malaise de Haraldr.
— Ma foi, dit-il d’un ton affable, je voulais moi aussi vous donner un conseil.
Il sourit et se rapprocha. Il avait les yeux soulignés par un soupçon de maquillage noir. Les instincts de Haraldr se trouvèrent en conflit. Il avait désespérément besoin de cette alliance, mais il se sentait de plus en plus mal à l’aise.
L’hétaïrarque s’avança davantage, toujours souriant.
— Vous ne savez pas ce que fait l’hétaïrarque, n’est-ce pas ?
Il y avait une étrange inflexion chantante dans sa voix, il avança la main pour effleurer le bout des cheveux blonds de Haraldr.
Haraldr se rétracta, saisi de répulsion. Que Kristr les maudisse tous ! Un tordu ! Un pervers ! Un amoureux de petits garçons !
— Vous ne savez pas encore qui je suis.
L’hétaïrarque continuait de sourire mais il y avait une étrange violence métallique dans sa voix douce. Et Haraldr sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque. Non !… Non !
Tout se passa en même temps. Les beaux traits vaguement féminins s’assombrirent comme si un grand nuage d’orage était passé sur eux, et à l’instant suivant, l’hétaïrarque eut un visage de bête. Ses narines palpitèrent d’un air meurtrier, sa bouche devint noire et ricana, ses
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