Byzance
orphelins », dénué de sens, mais qui faisait de l’orphanotrophe le chef du vaste réseau d’hôpitaux et d’orphelinats de l’empire et le seul responsable de centaines de milliers de solidi versées sous forme de « donations » – en général extorquées en recourant à diverses menaces. Les titres faisaient sans doute beaucoup d’effet auprès des petits messieurs de la cour, mais ce soir Joannès n’était qu’un simple moine soucieux de l’avenir de l’empire.
Il suivit le serviteur, un Thrace blond au teint pâle, vers un angle de la pièce. Le serviteur posa la main contre le mur et appuya. Avec un soupir, le panneau de marbre lisse pivota. Joannès et le logothète entrèrent dans une petite pièce fraîche ; le serviteur les suivit avec une seule lampe de cuivre, en forme de bélier. Il se pencha et souleva une mince dalle de pierre du sol. Une bouffée d’air glacé entra dans la pièce et le logothète protégea la lampe du vent. Le serviteur descendit dans le trou noir.
Joannès le suivit sur les marches de bois et laissa le serviteur guider ses jambes dans la petite barque. Il s’écarta et s’assit. Ils se trouvaient dans une vaste citerne. Le serviteur se mit à ramer sur le lac souterrain ; Joannès compta les rangées de colonnes couvertes d’algues et étudia les motifs des briques composant les voûtes arrondies au-dessus de sa tête ; les nombres et les formes – l’ordre – étaient les deux principes de base que recherchait instinctivement son esprit. Ils passèrent sous vingt voûtes avant d’atteindre l’autre côté de la citerne. Ils abordèrent à un quai de bois et montèrent une brève volée de marches qui les conduisit à une porte de chêne souillée. Le serviteur l’ouvrit. De la pièce dans laquelle ils entrèrent émanait une odeur d’encens, de bon vin et de parfum de femme.
— J’ai quelque chose de spécial, ce soir, dit le logothète.
Il s’allongea, ainsi que son invité, sur un divan de brocart.
Il avait des yeux asiatiques, sombres et perçants, qui lancèrent des reflets de bête fauve dès que le serviteur eut allumé les lampes à huile dans leurs niches. Comme Joannès, il était fils d’un bureaucrate de niveau inférieur qui était tombé en disgrâce ; son père, trésorier-payeur d’un régiment de province, avait été convaincu de détournements de fonds – alors que le père de Joannès, sorte de notaire dans le port d’Amastris, sur la mer Noire, avait été arrêté pour avoir falsifié des actes de vente. Tel était le lien entre le logothète et Joannès, un lien beaucoup plus solide que toute allégeance politique transitoire, que toute protestation plus ou moins sincère de loyauté.
— Vous le trouverez vraiment remarquable, dit le logothète.
Son serviteur versa dans des gobelets d’argent le vin que contenait une cruche de terre vernissée.
— Un cru de Sicile, ajouta-t-il. Il tournera d’ici deux ou trois semaines : ne vous en privez donc pas.
Le logothète sourit. Joannès buvait beaucoup, que le vin fût bon ou mauvais – et qu’on l’invite ou non à boire. Le logothète attendit que Joannès eût vidé le premier gobelet et la moitié du deuxième ; il savait par expérience que jamais le moine ne buvait plus qu’il ne supportait, mais c’était souvent assez pour convaincre les autres qu’il avait outrepassé sa limite.
— Je tiens le renseignement de mes correspondants habituels à la cour de Iaroslav, ainsi que d’entretiens avec des marchands de Rus qui sont revenus de ce que l’on appelle communément les îles de Thulé. Mais nous savons maintenant que Thulé est en fait un ensemble de nations différentes. Elles occupent parfois des îles et parfois des péninsules, et elles sont unies par une langue commune. Mes services ont également interrogé des marchands et des diplomates francs qui connaissent ces Barbares du Nord et commercent avec eux. Simples comme ils le sont, ils les appellent « hommes du Nord », « Norrois » et même « Normands ».
Le logothète s’interrompit pour prendre une gorgée de vin, puis posa son gobelet sur un petit meuble à dessus d’ivoire.
— Voici les faits. Le niveau d’organisation militaire parmi ces Barbares du Nord est beaucoup plus élevé que ne vous l’a signalé le stratège de Cherson, notre spécialiste en ces matières. Ils ont livré sur terre des batailles auxquelles participaient des dizaines de milliers
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