Byzance
d’hommes. Des flottes de plusieurs centaines de bateaux rapides transportant des soldats extrêmement bien armés lancent régulièrement des attaques éclairs contre leurs voisins. Comme ces pays du Nord ne sont pas dominés par une seule grande puissance, il se produit parmi eux de fréquentes fluctuations politiques, et les rois barbares se déposent souvent entre eux. Des bandes de guerriers généralement fort nombreuses se trouvent sans allégeance précise à la suite de ces conflits et se vendent presque toujours au plus offrant ou à l’usurpateur suivant, en échange d’une part de butin.
Joannès réfléchit un moment avant de répondre de sa voix sépulcrale :
— Oui. Les Barbares du Nord possèdent sûrement les moyens militaires d’une invasion. C’est l’un des rares cas où les craintes du peuple se fondent sur un fait réel. Pure coïncidence, bien sûr.
Avant de poursuivre, il fit signe au serviteur d’emplir son gobelet.
— Bien entendu, les capacités militaires de ces Barbares du Nord ne sont pas alarmantes par elles-mêmes. C’est simplement un nom de plus à rajouter à la liste des adversaires qui harcèlent sans répit nos frontières. Sauf que parmi nous, seuls ces Nordiques ont également des compétences maritimes capables de menacer la Reine des Cités. S’ils organisaient une expédition navale et avaient l’occasion de la lancer en même temps que, par exemple, une incursion des Bulgares à travers les bouches du Danube, ils constitueraient une menace réelle.
Joannès regarda fixement le logothète.
— Mais vous venez de signaler les fluctuations politiques de ces pays du Nord. Tant que les voleurs se chamaillent entre eux, les gardiens des portes n’ont guère de souci à se faire. Tant que ces Barbares n’auront pas un chef puissant et respecté, leurs incursions se réduiront à d’inoffensifs actes de piraterie, même si la moitié de la Marine impériale est envoyée ailleurs.
— Vous ne tenez pas compte de l’arrivée du prince barbare inconnu avec la dernière flottille marchande de Rus.
— Vous n’avez rien découvert. C’est un de ces faux bruits comme en font courir sans cesse les dynatoï.
— Ce que j’ai trouvé ne me satisfait pas entièrement. Les rumeurs ont débuté sur les bateaux de Rus.
— Dans ce cas, continuez vos recherches. J’ai très envie de rétablir les échanges commerciaux avec Rus, mais si ce prince existe vraiment, je n’aurai pas le choix. Je ferai cause commune avec les dynatoï et proposerai l’extermination de tous les Barbares du Nord qui sont arrivés avec cette flotte.
— Cela suffirait-il ? Supposez qu’un de ces voleurs barbares, pour reprendre votre métaphore, soit déjà devenu gardien des portes.
Les sourcils sombres et luisants de Joannès s’abaissèrent sur ses iris pleins de flamme. Pendant un instant, le logothète se demanda s’il ne s’était pas mépris sur la loyauté de son allié. Mais l’instant suivant, Joannès hocha la tête : il appréciait cette extrapolation de sa métaphore. L’hétaïrarque, le Barbare du Nord Mar Hunrodarson, ouvrait les portes du Palais impérial chaque matin. Et l’hétaïrarque était peut-être un de ces serviteurs qui commencent à se prendre pour les maîtres.
— Développez votre théorie, grommela-t-il.
— L’hétaïrarque Mar Hunrodarson réclame ouvertement depuis longtemps que l’on recrute beaucoup plus de mercenaires varègues. Récemment, il a apporté presque chaque jour à mes services des renseignements – certains bien fondés, d’autres très exagérés – concernant des insurrections civiles dans la ville. Il propose que l’on crée une nouvelle Garde varègue de rang inférieur, qui serait utilisée en ville et non au palais, pour réprimer les émeutes. Intéressant, non ? Les champions du petit peuple qui réclament l’honneur de devenir ses oppresseurs.
Joannès hocha la tête et avala un autre gobelet de vin.
— Mar Hunrodarson n’est manifestement pas un Barbare comme les autres. Il a appris à utiliser les paperasses des Romains presque aussi bien que l’acier des Francs.
Il but de nouveau et réfléchit en silence. Si tout allait bien au Palais impérial, le moment serait bien choisi pour éliminer l’ambitieux Barbare Hunrodarson. Mais rien n’allait bien, et le rusé hétaïrarque jouerait sans doute un rôle important dans le drame.
— Oui, répondit le logothète. Mar Hunrodarson se
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