Byzance
simplement à manger aux crabes.
Haraldr décida de protester. Il posa la main sur le bras de Jean. L’interprète sursauta, indigné.
Ne pouvant contenir sa rage, Haraldr saisit l’interprète au collet et le fit passer par-dessus sa tête. L’autre main se crispa sur le pommeau de son épée, prête à frapper le topotérétès si besoin était.
— Demandez au topotérétès pourquoi il me transporte par mer. Demandez-lui.
À la surprise de Haraldr, le topotérétès éclata de rire, la tête rejetée en arrière, révélant de longues dents blanches de cheval. Il donna même une claque sur l’épaule de Halldor et montra d’un geste qu’il appréciait cette façon de traiter son interprète.
— Posez-lui la question ! cria Haraldr au visage rouge de son prisonnier chancelant.
L’interprète se hâta de traduire et Haraldr, retrouvant son calme, le remit brutalement sur ses pieds.
Le topotérétès haussa les épaules et s’expliqua. L’interprète recula et fit le signe de la croix.
— Ils veulent vous recevoir dans le port du Palais, dit-il d’une voix tremblante dans la langue du Nord. Ce sera plus digne.
Haraldr adressa à Halldor et à Ulfr un regard interrogateur.
— Je pense que nous pouvons faire confiance à notre ami le topotérétès, dit Ulfr.
« Oui, se dit Haraldr, je peux supposer que je vais au Palais. Mais est-ce Mar qui m’a convoqué ? Ou bien Joannès ? Est-ce que Mar et Joannès travaillent ensemble ? » Puis toutes les pièces du puzzle changèrent de place et il se sentit soudain tranquille, presque comme pendant son enfance quand il étudiait les runes et que le sens devenait soudain parfaitement clair. Seul le destin l’accueillerait au terme de ce voyage d’un jour, et qu’importait le masque sous lequel se cachait le destin ? S’il mourait, ce serait une meilleure fin que de rester le prisonnier le plus riche du quartier de Saint-Mammas. S’il revenait, ce serait avec des réponses à ces questions troublantes.
Un petit bateau de guerre l’attendait amarré à l’un des quais commerciaux du quartier de Saint-Mammas. Le capitaine du bateau, le kentarchos , accueillit Haraldr ; c’était un homme sec d’environ trente ans qui portait un pectoral de cuivre décoré d’un lion en ronde bosse. Le kentarchos précisa à Haraldr qu’il pouvait se déplacer sur le pont librement. Haraldr examina les grands engins de jet d’une complexité stupéfiante avec leurs engrenages, leurs cordages, leurs poulies et leurs palans. Puis il se rendit à l’étrave et étudia la gueule de bronze en forme de lion rugissant capable de cracher les flammes terrifiantes qu’il n’aurait jamais crues réelles s’il n’avait déjà vu leur effet dévastateur.
Le bateau de guerre passa devant l’immense jetée du port et l’inquiétante tour grise, puis contourna la langue de terre que la Grande Ville projette dans la mer ; autrefois, avait appris Haraldr, cette péninsule entière s’appelait Byzance. Le soleil déchira les nuages couleur d’ardoise et projeta un large rayon sur la proue orientale de la ville. Une fois de plus, le panorama de dômes étincelants stupéfia Haraldr.
Le bateau accosta à un quai proche d’une bâtisse massive qui s’élevait de la digue. Des soldats portant la même armure que le topotérétès et manifestement sous ses ordres se joignirent à l’escorte de Haraldr et le précédèrent sur un large escalier de marbre vers une série de terrasses couvertes d’herbe et de lierre, décorées de statues de pierre dont certaines semblaient aussi vivantes que celles que Haraldr avait vues dans la ville. Haraldr remarqua que leurs yeux étaient étrangement animés, comme emplis de royaumes lointains et d’âges disparus, d’époques où seuls les dieux habitaient la terre. Depuis combien de siècles des hommes avaient-ils précédé Haraldr sur ces marches, sous ces regards de pierre inquiétants ?
L’escorte entraîna Haraldr vers un énorme bâtiment de couleur claire sur la droite. Des archers khazars montaient la garde sous un vaste portique. Haraldr et le topotérétès franchirent les lourdes portes d’argent, traversèrent un vestibule de marbre plein d’eunuques affairés somptueusement vêtus, puis longèrent un portique aux colonnes de jade et traversèrent une cour aux fontaines gazouillantes ainsi que plusieurs vestibules décorés de mosaïques d’or et d’ocre représentant des scènes de bataille ; les
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