Byzance
Haraldr n’avait-il rien vu sur le visage indéchiffrable de Mar Hunrodarson, mais les voiles du pouvoir allaient enfin s’écarter et il verrait jusque dans le cœur du dragon romain.
Les deux eunuques précédèrent Haraldr dans une antichambre au plafond à caissons dorés ; Mar, la hache contre la poitrine, suivit Haraldr sur ses talons. Quatre Varègues s’écartèrent et deux eunuques en robe blanche ouvrirent les portes d’argent.
Après les prostrations rituelles, Haraldr se releva. Au-dessus de lui s’étendait un dôme d’un bleu céleste parsemé d’étoiles d’or, mais l’endroit où il se trouvait était petit, entouré de lourds rideaux de brocart pourpre. L’empereur, assis sur un trône d’or décoré de pierreries, était entouré par plusieurs eunuques debout en robe blanche. Il était vêtu de soie pourpre décorée d’aigles d’or, mais ne portait pas de couronne sur la tête. Du coin de l’œil, Haraldr remarqua un homme en habit de moine – l’unique personnage de la pièce assis en présence de l’empereur.
Haraldr se rappela soudain qu’il était de lignée royale et que cet empereur ne l’était pas. Il respira à fond et força son regard à parcourir le visage de cet homme assis à moins de trois coudées de lui. Ses mains tremblaient, mais il fixa son regard sur les iris couleur de sable. En quelques secondes, il comprit que tout ce qu’il avait supposé au sujet de cet empereur était faux.
Ce n’était pas un dieu, bien sûr, mais un homme fort d’environ quarante ans, avec un nez hardi et un front noble et haut ; ses longues boucles brunes avaient des reflets gris. Mais c’était clairement un homme supérieur. Toute son attitude exprimait la confiance en soi : ses pieds, chaussés de bottes pourpres, bien à plat sur le sol, ses épaules carrées et sa poitrine droite, ses mains posées sur ses genoux avec le bout des doigts qui se touchaient légèrement. Haraldr avait grandi dans les cours royales et il connaissait l’importance de la présence physique d’un roi pour s’assurer du respect et de la loyauté de ses sujets. Mais il savait aussi que cette aura mystérieuse du commandement ne se réduisait pas au port des robes de soie ou à une affectation de virilité. C’était avant tout une flamme dans le regard, une qualité intangible et pourtant indéniable qui ne permettait pas de mettre en doute la maîtrise d’un homme à la fois sur lui-même et sur son entourage. Haraldr avait déjà vu cette flamme, et il avait appris à distinguer les hommes qui en étaient animés de ceux qui feignaient seulement de l’avoir. Il apprit dans les yeux noirs et profonds de cet empereur tout ce qu’il avait besoin de savoir ; ils exprimaient une tristesse infinie mais aussi un entêtement terrifiant, une résolution inébranlable. Cet empereur n’était pas une marionnette ; même un homme comme Mar devait être un jouet pour lui.
L’empereur prononça plusieurs phrases d’une voix égale, profonde et naturelle qui ne sollicitait pas à tout prix le respect comme les exhortations de tant de faibles, mais indiquait simplement une autorité innée. Le grand interprète traduisit en conservant la plupart des inflexions originales de l’empereur.
— Votre Père vous salue, Haraldr Nordbrikt, et applaudit l’ingéniosité avec laquelle vous avez réglé la plaie des pirates sarrasins qui dérangeaient notre commerce maritime.
Certains ne vous ont pas bien accueilli quand vous êtes arrivé dans nos parages, mais Sa Majesté impériale veille à ce que désormais vos ennemis vous respectent comme un vrai soldat du Christ. Votre Père vous demande si vous êtes prêt à accomplir maintenant une tâche qui servira de façon plus directe sa sainte personne.
Haraldr était presque euphorique à la pensée de servir cet homme magnifique, mais une autre région de son esprit demeurait assaillie de doutes. Il n’avait brûlé le cadavre d’Asbjorn Ingvarson que la veille. Ses ennemis avaient-ils été enchaînés en quelques heures ? Même si c’était le cas, l’âme du jeune Nordique réclamait vengeance. De nouveau, il vit le moine à l’angle de son champ de vision et songea à Mar dans son dos ; il était probable que l’assassin d’Asbjorn ne se trouvait pas à plus de deux pas.
Haraldr remarqua que le grand chambellan lui faisait un signe de tête. Il vida son esprit de ses craintes en respirant à fond, puis confia sa langue à
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