Byzance

hommes ne pouvaient pas demeurer indéfiniment inactifs, ils finiraient par se retourner contre eux-mêmes. Quelle ironie amère ! En triomphant d’une armée de fantômes, il avait acquis assez d’or pour acheter un royaume, mais à présent tout l’or de l’Orient ne pourrait l’aider contre les fantômes que les Romains lançaient contre lui. Et ces fantômes s’appelaient peur, confusion et indécision.
    « Comment un jardin aussi beau pouvait-il être aussi vide ? » se demanda-t-elle. Mais seuls les paons aux reflets chatoyants pouvaient la voir. Sa robe lui tenait chaud, et elle la remonta sur ses hanches quand elle s’assit sur le banc de marbre frais pour tremper les pieds dans le petit bassin. Elle se caressa ; elle était déjà moite. Puis la main masculine se posa sur la sienne et la maintint. Il la caressa doucement avec son doigt et elle se sentit fondre. Elle pencha la tête en arrière et vit le soleil, lointain, filtré par le dais des feuilles couleur d’émeraude. L’autre main de l’homme remonta davantage la robe, la soie parut se dissoudre au-dessus de ses bras et elle frissonna quand il effleura le bout durci de ses seins. Elle se mit à flotter sur l’eau tiède du bassin.
    Il la lança comme une poupée et elle se retrouva face à lui, sans poids, les jambes autour de lui. Elle sentit la hampe brûlante juste au-dessous d’elle et elle se baissa. Ce fut comme un rocher couvert d’onguent brûlant, qui s’enfonça. Elle appuya ses seins laiteux contre la poitrine dure, tira sur les cheveux de soie, et embrassa les sourcils d’or.
    Le cri qu’elle poussa fit frémir les feuilles brillantes et la nuit tomba comme un marteau pesant. La tête d’obsidienne de son amant ricana, son horrible bec gloussa et les perles nacrées de ses yeux fouillèrent l’âme de Maria. Elle cria de nouveau et les ailes de son amant battirent, pareilles à des nuages d’orage. Elle s’éveilla.
    — Maîtresse, chantonna l’eunuque Nicétas, désirez-vous votre potion ?
    Il se tenait au chevet de Maria avec un gobelet d’argent sur un plateau en équilibre au bout de ses doigts fins. Quand elle s’éveillait en sursaut au milieu de la nuit, la maîtresse des robes réclamait en général un narcotique quand elle n’avait pas de compagnon pour soulager ses angoisses. Maria parcourut la chambre du regard.
    — Non, Nicétas, allume une lampe.
    Nicétas alluma avec sa lampe à huile la lampe de cuivre de la table.
    — Notre Mère est-elle réveillée ?
    — Oui, maîtresse.
    La Mère dormait peu depuis qu’elle était rarement apaisée par les attentions de son époux empereur.
    Maria enfila sa robe vert de béryl et ses pantoufles de soie.
    Dans le couloir de marbre, elle s’arrêta devant les eunuques qui gardaient l’antichambre de l’impératrice. Ils lui firent signe de passer. L’antichambre était brillamment éclairée par des lustres d’argent. Le dallage de mosaïque ressemblait à une prairie parsemée de crocus et de jacinthes. Deux autres eunuques vêtus de soie aussi raide que de la laque l’accueillirent et la précédèrent vers les énormes portes d’ivoire sur lesquelles étaient gravés les aigles impériaux. Ils les écartèrent légèrement. Au bout d’un instant, un des deux eunuques se retourna et lui fit un signe. Maria entra.
    Des colonnes de marbre de Carie veiné de blanc soutenaient le dôme doré de la vaste chambre à coucher de l’impératrice ; les murs étaient revêtus de panneaux de porphyre rouge foncé qui alternaient avec du marbre de Thessalie vert clair. Maria remarqua que l’impératrice avait enrichi sa fabrication de cosmétiques. Trois serviteurs s’affairaient autour de tables couvertes de fioles, de pots, de mortiers et de pilons. Plusieurs rangées de réchauds à braise faisaient mijoter des dizaines de potions à l’odeur âcre.
    — Petite fille ! s’écria l’impératrice Zoé en s’élançant vers Maria, les bras tendus.
    Une chemise de soie enveloppait ses formes, pleines mais encore jeunes. Elle plaça sous le nez de Maria le petit pot d’argile qu’elle tenait à la main – il sentait l’huile de baleine – puis elle prit la crème du bout des doigts et massa doucement le front de Maria.
    — C’est nouveau. Pour effacer les plis comme si un ange passait la main devant ton visage.
    Maria sourit ; la beauté de Zoé ne prouvait-elle pas les mérites de ses inventions ? Et pourtant cette obsession de