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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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garde, a été touchée onze fois. Bref, un petit
désastre. Avec des morts et des blessés. C’est la raison pour laquelle le
maréchal Victor, fou de rage jusqu’à la pointe de ses favoris, a abreuvé de
noms d’oiseaux, dans son langage de soudard, le général Menier actuellement à
la tête de la division responsable de Puerto Real, en le traitant de parfait
inutile, et a fait venir en toute hâte Simon Desfosseux, avec les pleins
pouvoirs et l’ordre d’étudier la situation pour faire en sorte qu’une saloperie
pareille  – ce sont les mots du maréchal transmis tels quels de vive
voix – ne puisse jamais se reproduire.
    Le maréchal des logis Labiche, que Desfosseux a pris avec
lui pour l’aider, le rejoint. Le sous-officier n’est certes pas un prodige
d’efficacité ni d’esprit combatif, mais il est le seul dont puisse disposer le
capitaine en ce moment. Labiche présente au moins l’intérêt de sauver les
apparences. Comme si le changement d’air lui avait insufflé une énergie
nouvelle – ou peut-être se soulage-t-il sur des têtes inconnues de l’ennui
et de la grogne accumulés au Trocadéro –, l’Auvergnat ne cesse depuis hier
de hurler ses ordres comme un contremaître de chantier et d’insulter la
garnison locale en proférant d’horribles jurons.
    — Les canons sont là, mon capitaine.
    — Alors dégagez-les, je vous prie. Faites préparer les
affûts.
    On sent l’odeur de la marée basse. Les taches blanches des
mouettes posées près des bateaux échoués dans la vase – il ne reste de
certains que des membrures calcinées – parsèment la frange verdâtre
laissée à découvert, face au quai qu’arpente Desfosseux au milieu d’une foule de
soldats qui vont et viennent avec des voitures et des chariots. Le capitaine a
étudié la situation hier matin, dès son arrivée au village ; l’après-midi,
il a mis les hommes au travail, et il a continué toute la nuit et toute la
matinée sans se reposer. Il est maintenant plus de quatre heures, et une
section de sapeurs assistés – avec beaucoup de mauvaise volonté, vu la
chaleur – de fantassins et d’artilleurs de marine finit d’empiler les
derniers sacs remplis de boue et de sable pour protéger le nouveau
bastion : une demi-lune, d’où six canons de 8 livres pourront couvrir
tout le front maritime du village. En principe.
    Desfosseux s’approche pour jeter un coup d’œil aux tubes de
fer qui attendent sur la place, sur des chariots attelés à des mules. Ce sont
de vieilles pièces d’artillerie de six pieds de long et pesant plus d’une
demi-tonne amenées d’El Puerto de Santa María et destinées à être adaptées aux
affûts de type Gribeauval qui ont été solidement arrimés sur leurs
emplacements. La hâte du duc de Bellune obligera les canons à tirer à barbette,
sans meurtrières ni autre protection pour les artilleurs que le mur de sacs et
de boue étayé par des planches et des pieux plantés dans la terre, de trois à
cinq pieds de haut, qui forme le bastion. Cela suffira pour tenir à distance
les canonnières espagnoles, estime Desfosseux, en tout cas pendant le
jour ; bien que certaines nouveautés dans le dispositif de l’artillerie
ennemie le préoccupent, comme il l’a manifesté à ses supérieurs. Un officier
anglais, qui vient de passer aux lignes françaises à la suite d’un duel, a mis
les informations à jour : canons de plus grande portée dans la batterie du
Lazareto, renforcement des redoutes britanniques de Sancti Petri et de
Gallineras Altas, davantage de Portugais à Torregorda et d’artillerie dans
cette position, avec des pièces de 24 livres et des caronades de 36,
anglaises. Tout cela est en dehors du territoire de Desfosseux et ne l’inquiète
pas trop ; en revanche, il y a cette nouvelle menace directe contre le
Trocadéro : le projet d’utiliser le ponton du vaisseau Le Terrible comme batterie flottante pour tirer par élévation sur le fort Luis et la
Cabezuela, afin de faire taire le feu de Fanfan sur Cadix. Ou d’essayer. Dans
cette combinaison du jeu des quatre coins, de châteaux de cartes et de dominos
qu’est le siège de la baie, chaque nouveauté ou chaque mouvement, même minime,
peut entraîner des conséquences infinies. Et l’artillerie impériale, avec Simon
Desfosseux au centre de l’écheveau, joue le triste rôle du pompier qui doit
affronter un incendie avec juste un baquet d’eau et qui court en tous sens sans
y

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