Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
grave, dit pendant ce temps le
policier à Maraña. Il y a des raisons de supposer que certains patrons de
barques et contrebandiers passent des informations aux Français.
En entendant cela, Pepe Lobo oublie d’un coup Lolita Palma
et Lorenzo Virués. J’espère que non, se dit-il, avec un sursaut de tout son
être. Qu’ils aillent tous au diable :
Ricardo Maraña, la femme qu’il va voir à El Puerto et ce
chien qui vient fouiner avec son sale museau. Le capitaine corsaire veut croire
que les aventures nocturnes de son second ne se termineront pas en lui
compliquant la vie. D’ici deux jours, si le vent est favorable pour quitter la
baie de Cadix, la Culebra doit être fin prête, équipage au complet,
canons parés et toute la toile dehors pour commencer la chasse.
— Je ne suis au courant de rien, répond sèchement
Maraña.
Le pouls du jeune homme, observe Pepe Lobo, n’a pas varié,
inaltérable comme celui d’un serpent en pleine sieste. Il a bu une longue
gorgée et remet le verre juste sur le cercle d’humidité qu’il a laissé en le
prenant sur la table. Calme comme quand il joue son butin de prise aux cartes,
quand il provoque un homme en duel ou qu’il saute sur le pont d’un autre navire
dans le craquement des charpentes et la fumée de la mousqueterie. Avec toujours
cette moue dédaigneuse qu’il adresse à la vie. Et à lui-même.
— Il arrive que l’on sache des choses sans savoir qu’on
les sait, insiste le policier.
— Je ne peux pas vous aider.
Suit un silence embarrassé. Au bout duquel le commissaire se
lève. Dégoûté.
— Cadix est Cadix, dit-il avec force. Et la contrebande
y est un mode de vie. Mais l’espionnage, c’est autre chose… Aider à le
combattre, c’est servir la patrie.
Maraña ricane avec insolence. La lumière des torches et le
passage des éclairs du phare accentuent les cernes sous ses paupières dans la
pâleur de son visage. Le rire se termine en toux mouillée, déchirée, qu’il
dissimule prestement en portant à sa bouche le mouchoir qu’il sort d’une manche
de sa jaquette tout en laissant tomber le cigare par terre. Après quoi il remet
le morceau de tissu à sa place avec indifférence, sans même y jeter un coup
d’œil.
— Je tiendrai compte de ce que vous dites. Surtout
concernant la patrie.
Le policier l’observe avec intérêt, et Pepe Lobo a la
désagréable impression qu’il grave son second dans sa mémoire. Sale petit
morveux de merde, peut-il lire sur ses lèvres serrées. J’espère bien que nous
aurons l’occasion de nous retrouver pour te régler ton compte. Quoi qu’il en
soit, le dénommé Tizón semble être un homme au tempérament bien trempé, froid
comme un poisson. Et j’espère bien, conclut le capitaine corsaire, ne jamais
avoir à jouer aux cartes avec ces deux-là. Impossible de lire leur jeu sur leur
visage.
— Si vous avez un jour quelque chose à me conter, je
suis à votre disposition, tranche le policier. Et même chose pour vous,
capitaine… Mon bureau se trouve rue du Mirador, en face de la nouvelle prison.
Il met son chapeau et balance sa canne, sur le point de
quitter les lieux ; mais il s’arrête de nouveau un instant.
— Encore une chose, ajoute-t-il à l’intention de
Maraña. À votre place, je me méfierais des promenades nocturnes… Elles vous
exposent à de mauvaises rencontres. À des conséquences.
Le jeune homme le regarde dans les yeux avec une nonchalance
manifeste. Puis il fait, à deux reprises, un faible signe d’acquiescement,
avant de reculer un peu sur sa chaise pour soulever le pan gauche de sa veste.
Laissant ainsi apparaître le métal de la crosse en bois verni d’un pistolet de
marine à canon court.
— Depuis qu’on a inventé ça, les conséquences vont dans
les deux directions.
Inclinant légèrement la tête, le policier paraît méditer sur
les pistolets, les directions et les conséquences, tandis qu’il gratte le sable
avec sa canne. Finalement, après un bref soupir, il fait le geste d’écrire dans
l’air.
— J’en prends note, dit-il avec une douceur suspecte.
Et je vous rappelle, au passage, qu’à Cadix l’usage des armes à feu est
interdit aux particuliers.
Maraña sourit, presque songeur, soutenant son regard. Les
torches et les arpèges des guitares font danser des ombres sur son visage.
— Je ne suis pas un particulier, monsieur. Je suis un
officier corsaire avec patente du roi… Nous sommes hors des remparts
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