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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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cela pendant que Virués et ses
semblables dormaient à poings fermés en attendant l’échange qui les rendrait à
l’Espagne, l’honneur intact, l’uniforme bien repassé, et arborant leur air de
supériorité habituel. Tous de la même caste, comme ce jeune blanc-bec qui a
prétendu se battre en duel après l’échange, à Algésiras, et que Pepe Lobo a
envoyé se faire voir en lui riant au nez. La chose se serait peut-être passée
autrement s’il s’était agi de Virués et non de ce petit-maître imberbe. S’il
avait eu devant lui ce fils de pute prétentieux et stupide.
    Sans prendre le temps de réfléchir à son acte ou à ses
conséquences, le corsaire fait demi-tour et revient près de la table des
officiers. Qu’est-ce que je suis en train de faire, se dit-il en chemin. Mais
c’est trop tard pour virer de bord. Virués est accompagné de trois Espagnols et
de deux Anglais. Ces derniers, un capitaine et un lieutenant, portent les
vestes rouges de l’infanterie de marine britannique. Les trois Espagnols sont
des capitaines : l’un est vêtu de l’uniforme d’artilleur, et les deux
autres de celui, bleu clair à revers jaunes, du régiment d’Irlande. Tous lèvent
la tête, surpris de le voir arriver.
    — Nous nous connaissons, monsieur ?
    La question s’adresse à Virués, qui le regarde, déconcerté.
Le groupe se tait. Dans l’expectative. On entend seulement la musique du
cabaret. Il est évident que le capitaine du génie ne s’attendait pas à ça. Pas
plus d’ailleurs que Pepe Lobo. Mais foutredieu, qu’est-ce que je fais, se
dit-il de nouveau. Ici. À chercher querelle, comme un ivrogne.
    — Je crois que oui, répond l’interpellé.
    Pepe Lobo rend justice au menton bien rasé à cette heure de
la nuit, à la moustache châtain et aux favoris à la mode. Un beau garçon,
conclut-il, une fois de plus. Capitaine du génie, rien de moins. Un homme qui a
de l’instruction et un avenir avec ou sans guerre, de ceux qui vont dans le
monde en ayant déjà fait la moitié du chemin. Un homme d’honneur, dirait Lolita
Palma – ou, plutôt, a-t-elle dit. Idéal pour offrir un mouchoir blanc et
parfumé à une dame, ou l’eau bénite à la sortie de la messe.
    — C’est bien ce que je pensais. Vous étiez de ceux qui
étaient à Gibraltar, à vous la couler douce en attendant un confortable
échange…
    Il laisse la suite en suspens. L’autre cille légèrement, en
se redressant un peu sur sa chaise. Comme on pouvait s’y attendre, personne ne
sourit plus parmi les autres officiers. Les Espagnols, bouche bée. Les Anglais
ne comprenant rien pour l’instant. What ?
    —  J’étais prisonnier sur parole, monsieur. Comme
vous.
    Virués détache les deux derniers mots, avec hauteur. Le
corsaire affiche un sourire insolent.
    — Oui. Sur parole, et en bonne compagnie avec ces
messieurs les Anglais… Pour qui, je le constate, vous gardez toujours autant de
sympathie.
    Le militaire fronce les sourcils. Sa surprise du début
tourne à l’irritation. Le bref regard qu’il adresse à son sabre, posé contre la
chaise, n’échappe pas à Pepe Lobo. Mais celui-ci ne porte pas d’armes. Jamais à
terre, et encore moins quand il boit. Pas même son couteau de marin. Il a
appris la leçon très jeune, de port en port, à force de voir pendre des gens.
    — Vous me cherchez querelle, monsieur ?
    Le corsaire réfléchit un moment, semblant même y mettre de
la bonne volonté. Une question intéressante, en tout cas. Opportune, étant
donné les circonstances. Finalement, après l’avoir sérieusement soupesée, il
hausse les épaules.
    — Je ne sais pas, répond-il, sincère. Ce que je sais,
c’est que je n’aime pas votre manière de me regarder. Ni ce que vous dites ou
ce que vous insinuez hors de ma présence.
    — Je n’ai rien dit derrière votre dos que je ne puisse
vous répéter en face.
    — Par exemple ?
    — Qu’à Gibraltar vous ne vous êtes pas comporté comme
il se doit… Que votre fuite, en enfreignant les règles, nous a tous placés dans
une situation humiliante.
    — Vous parlez, je suppose, de vous et des imbéciles de
votre espèce.
    Rumeur indignée autour de la table. Le sang afflue d’un coup
au visage de Virués. Il se lève tout de suite, mais comme l’homme bien élevé
qu’il est : sans hâte, sans trahir d’émotion, feignant le calme. Cependant
Pepe Lobo observe ses mains crispées. Cela lui cause une jouissance féroce. Les
autres

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