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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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et la plage
voit passer une foule de gens nantis de laissez-passer ou d’assez d’argent pour
contenter les sentinelles. Sous les auvents résonnent le choc des cruches, les
fandangos et les boléros, le cliquètement des castagnettes, les chants des cantaores et des tonadilleras  ; s’y côtoient marins, militaires, étrangers à
la bourse pleine ou en quête de quelqu’un qui leur paiera une bouteille, jeunes
gens encanaillés de la bonne société, Anglais et patrons de barques qui vont et
viennent. La proximité des navires de guerre, mouillés tout près pour se
protéger des bombes françaises, donne encore plus d’animation au lieu avec la
présence de bandes d’officiers et de matelots. De toutes parts fusent les
conversations bruyantes, les rires des femmes faciles, le tintamarre des
guitares, des chants, des beuglantes d’ivrognes, des bruits de rixes. C’est
dans les nuits de la Caleta que vient se distraire, en ce second été de siège
français, le Tout-Cadix noctambule et canaille.
    — Bonsoir… M’accorderiez-vous un moment de
conversation ?
    Pepe Lobo, assis à une table faite de simples planches
clouées, échange un rapide regard avec Ricardo Maraña, puis dévisage l’inconnu
aux traits aquilins qui, chapeau de paille rond et canne à la main, s’est
arrêté devant eux, se découpant par intervalles sur les éclats lointains du
phare de San Sebastían. Il porte une redingote grise ouverte sur le gilet, un
pantalon froissé, le tout négligé et sans élégance. De longs favoris épais qui
rejoignent la moustache. Des yeux que la nuit rend très noirs. Peut-être dangereux.
Comme la tête de la canne, qui ne passe pas inaperçue : une grosse boule
de bronze en forme de noix, parfaite pour ouvrir un crâne.
    — Qu’est-ce que vous voulez ? demande le marin
sans se lever.
    L’autre sourit un peu. Un sourire bref, courtois et qui se
limite aux lèvres. Une politesse peut-être empreinte de lassitude. À la lueur
des torches plantées dans le sable, la mimique découvre l’éclair fugace d’une
dent en or.
    — Je suis commissaire de police. Mon nom est Rogelio
Tizón.
    Les corsaires échangent un nouveau coup d’œil :
intrigué chez le capitaine de la Culebra  ; indifférent, comme
toujours, chez Maraña. Pâle, mince, élégant, vêtu de noir de la cravate aux
bottes, allongeant la jambe qui accuse une légère claudication, le jeune homme
est bien carré sur le dossier de sa chaise. Il a devant lui un verre
d’aguardiente – la demi-bouteille qui remplit déjà son estomac n’affecte
en rien son comportement –, un cigare fume au coin de sa bouche, et il se
tourne lentement, à contrecœur, vers le nouveau venu. Pepe Lobo sait que, comme
lui-même, son second n’aime pas les policiers. Ni les douaniers. Ni les marins
de guerre. Ni ceux qui interrompent les conversations d’autrui à la Caleta à
onze heures du soir, quand l’alcool alourdit les langues et les idées.
    — Nous ne vous avons pas demandé qui vous êtes, mais ce
que vous voulez, précise sèchement Maraña.
    Pepe Lobo, que le mot police a dégagé des vapeurs de
l’alcool, observe que l’intrus encaisse calmement l’affront. Apparemment, il a
le cuir épais. Un autre bref sourire fait briller de nouveau la dent en or. Il
s’agit, décide le corsaire, d’une mimique mécanique, professionnelle. Aussi
potentiellement dangereuse que la tête massive de la canne ou les yeux sombres
et immobiles, pas plus accordés au mouvement des lèvres que s’ils en étaient
distants de vingt pas.
    — Ça concerne mon travail… J’ai pensé que vous pourriez
peut-être m’aider.
    — Vous nous connaissez ? demande Lobo.
    — Oui, capitaine. Vous et votre second. C’est normal,
dans mon métier.
    — Et pourquoi avez-vous besoin de nous ?
    L’autre semble hésiter un instant, peut-être sur la façon
d’aborder l’affaire. Finalement, il se décide.
    — C’est avec votre officier que je souhaite parler… Il
se peut que le moment ne soit pas bien choisi, mais je sais que vous allez reprendre
la mer. En le voyant ici, j’ai pensé que, de la sorte, je pourrais éviter de
l’incommoder demain…
    J’espère, pense Pepe Lobo, que le second ne s’est pas fourré
dans une sale histoire. Fasse le Ciel qu’il n’en soit rien, à deux jours de
lever l’ancre. En tout cas, lui-même ne semble pas concerné. En principe.
Réprimant sa curiosité, il fait mine de se lever.
    — Dans ce cas, je

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