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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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moment,
j’aurais dû, je le crains, m’occuper aussi de ça… Palma & Fils,
exportation de danseuses.
    Elle s’interrompt, riant doucement, et le corsaire n’arrive
pas à établir avec certitude si elle a plaisanté.
    — De danseuses, répète-t-il.
    — Parfaitement. Les danseuses et le thon à l’escabèche
faisaient la renommée et la fortune des Gaditans… Mais ces demoiselles ont eu
moins de chance que le thon : l’empereur Théodose a interdit leurs danses,
jugées trop lascives. Selon saint Jean Chrysostome, c’était le diable en
personne qui leur servait de partenaire.
    Ils poursuivent leur chemin, s’éloignant du bal. Au-dessus
d’eux, dans l’ample portion de firmament que la largeur de la rue laisse à
découvert, les étoiles se bousculent. À chaque croisement de rue qu’ils
laissent sur leur gauche, Pepe Lobo note la brise de ponant, suave, légèrement
humide : elle vient du rempart proche et de l’Atlantique qui se trouve à
trois cents pas, derrière l’esplanade des Capucins.
    — Vous aimez les habitants de Cadix, capitaine ?
    — Certains.
    Quelques pas en silence. Par instants, Lobo entend le doux
froissement de la soie du domino. De près, il perçoit l’odeur du parfum,
différent de ceux dont usent les femmes de son âge. Celui-là est doux, et en
tout cas agréable. Frais. Pas trop fort. Bergamote, pense-t-il absurdement. Il
n’a jamais respiré de la bergamote.
    — Il y en a que j’aime, et d’autres non, ajoute-t-il.
Comme partout.
    — Je sais peu de choses de vous.
    On dirait un regret. Presque un reproche. Le marin, qui lui
donne la main pour l’aider à éviter une charrette dont les brancards reposent
sur le sol, hoche la tête.
    — Mon histoire est banale. Une seule solution, la mer.
    — Vous êtes venu très jeune de La Havane, n’est-ce
pas ?
    — Dire que je suis venu est exagéré. J’en suis parti,
plutôt… Venir, c’est rentrer de là-bas avec des milliers de réaux, un
domestique noir, un perroquet et des caisses de cigares.
    — Et un châle en indienne pour une femme ?
    — Parfois.
    Lolita Palma fait quelques pas en silence.
    — Vous n’en avez jamais acheté ?
    — Si, parfois.
    Ils ont laissé derrière eux la rue du Palmier et sa double
rangée de lucioles. Maintenant les gens sont moins nombreux, et devant eux
s’étend dans l’ombre l’esplanade de San Pedro, avec, à droite, la masse carrée
et obscure de l’hospice. Lobo s’arrête, prêt à rebrousser chemin, mais Lolita
Palma continue de marcher, vers la mer proche qui s’étend au pied du rempart
dans une pénombre bleutée. Celle-ci se colore de jaune par intermittence quand
passent les rayons du phare de San Sebastían.
    Elle a l’air songeuse :
    — Je me rappelle vous avoir entendu dire un jour que
seul un imbécile s’embarquerait pour le plaisir. Vraiment, vous n’aimez pas la
mer ?
    — Vous plaisantez ?… C’est le pire lieu du monde.
    — Pourquoi continuez-vous à naviguer, alors ?
    — Parce que je n’ai nulle part ailleurs où aller.
    Ils arrivent au bastion, au-dessus de la Caleta. Non loin de
là, on devine une guérite et la forme obscure d’une sentinelle. Des lanternes
éclairent par endroits le demi-cercle de sable blanc, et des bruits de musique,
de rires et de bravos montent des gargotes en planches et en toile à voile
collées au rempart. Dans la pénombre, sur le fond noir de l’eau immobile, se
détachent les contours plus clairs des barques échouées sur la vase de la
rive ; et, un peu plus loin, les silhouettes des chaloupes canonnières à
l’ancre. À Cadix, pense Pepe Lobo, tout se termine dans la mer.
    — J’aimerais pouvoir descendre, dit-elle.
    Le corsaire en a presque un haut-le-corps. Même une nuit de
Carnaval et avec un masque, les antres de la Caleta, avec leurs matelots, leurs
soldats, leurs filles et leur musique, ne sont pas recommandés pour une dame.
    — Ce n’est pas une bonne idée, dit-il, embarrassé. Nous
devrions peut-être…
    Il l’entend rire :
    — Rassurez-vous. Ce n’est qu’un désir, pas une intention.
    Ils restent silencieux, appuyés à la balustrade de pierre.
    Respirant, l’un près de l’autre, l’air humide et son odeur
de sable et de sel. Lobo sent contre son épaule droite sa présence physique. Il
peut presque percevoir la douce chaleur de son corps. Ou du moins il l’imagine.
    — Vous attendez un coup de chance ? demande Lolita
Palma en revenant à la

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