Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
inquiet, il lui
a semblé entendre des bruits étranges. De là son incertitude en se réveillant.
— Les guérilleros !… Les guérilleros !
Le cri proche le fait se lever d’un bond de son lit de camp.
C’était donc ça, découvre-t-il dans une rafale d’angoisse. Les bruits qu’il a
entendus pendant qu’il dormait étaient le crépitement de coups de feu. À
présent il distingue clairement les tirs de fusil, pendant qu’il cherche à
tâtons son pantalon et ses bottes, rajuste sa chemise de nuit du mieux qu’il
peut, prend son sabre et un pistolet, et sort en trébuchant. À peine dehors,
une détonation résonne et il est aveuglé par l’éclair de l’explosion qui
illumine tout alentour, les gabions sur les tranchées, les blockhaus en bois et
les baraquements de la troupe : l’un d’eux, d’où a surgi l’éclair,
commence à brûler violemment – on a sûrement jeté à l’intérieur un engin
fait de goudron et de poudre –, et sur la clarté de l’incendie se
découpent les silhouettes proches de soldats à demi vêtus qui courent dans
toutes les directions.
— Ils sont à l’intérieur ! crie quelqu’un. Ce sont
des guérilleros, et ils sont à l’intérieur !
Desfosseux, qui croit avoir reconnu la voix du sergent Labiche,
sent sa peau se hérisser. L’enceinte de l’artillerie est un pandémonium de
galopades, de cris et d’éclairs, d’ombres, de lumières, de reflets et de formes
qui s’agitent, se groupent ou se heurtent les unes aux autres. Il est
impossible de distinguer qui est ami et qui ne l’est pas. Tentant de garder la
tête froide, le capitaine recule, dos collé à la baraque, s’assure qu’il n’y a
pas d’ennemi à proximité et regarde en direction de la position fortifiée où se
trouvent Fanfan et ses frères : dans la tranchée protégée par des planches
et des fascines qui y mène, jaillissent des éclairs de coups de feu et luisent
des sabres et des baïonnettes. On s’y bat au corps à corps. C’est alors qu’il
comprend enfin ce qui se passe. Ce ne sont pas des guérilleros. C’est un coup
de main parti de la plage. Les Espagnols ont débarqué pour détruire les
obusiers.
— À moi ! hurle-t-il. Suivez-moi !… Il faut
sauver les canons !
C’est à cause de Soult, pense-t-il soudain. Naturellement.
Le maréchal Soult, commandant en chef de l’armée française
d’Andalousie, a pris personnellement la relève de Victor à la tête du Premier
Corps et se trouve en tournée d’inspection officielle dans la région :
Jerez, El Puerto de Santa María, Puerto Real et Chiclana. Aujourd’hui, il dort
à un mille d’ici et, demain, il a prévu de visiter le Trocadéro. L’ennemi a
donc décidé de se lever tôt pour lui souhaiter la bienvenue par une sérénade.
Connaissant les Espagnols – et, au point où il en est, Simon croit bien
les connaître –, il est probable que c’est de cela qu’il s’agit. C’était
déjà le cas l’an dernier, lors de la visite du roi Joseph. Qu’ils soient tous
maudits, les Espagnols comme le maréchal. De l’avis du capitaine d’artillerie,
rien de tout ça ne devrait le concerner, lui et ses hommes.
— À la batterie !… Protégez la batterie !
En réponse à son appel, une ombre qui se déplace tout près
lui expédie une balle qui le manque de deux pouces et arrache des éclats de
bois à l’abri derrière lui. Prudent, Desfosseux s’écarte de la lumière. Il ne
se décide pas à se servir de son sabre, car il sait qu’au corps à corps les
Espagnols sont redoutables. Il n’en peut plus de voir dans ses pires cauchemars
des navajas énormes, de celles qui font clac-clac-clac en s’ouvrant. Et il ne
veut pas non plus, pour un résultat incertain, décharger son unique pistolet.
Ses hésitations sont levées par des soldats qui arrivent en courant, se jettent
sur les ennemis à coups de fusil et de baïonnette, et finissent par nettoyer le
chemin. Les braves garçons, pense le capitaine, soulagé, en s’unissant à eux.
Ils passent leur temps à grogner et l’on ne peut guère leur faire confiance
dans les moments d’inaction et de relâchement, mais ils sont toujours vaillants
à l’heure de se battre.
— Venez ! Tous aux canons !
Simon Desfosseux est tout le contraire d’un héros de
l’Empire. Son idée de la gloire guerrière de la France est relative, et
lui-même ne se considère même pas comme un soldat ; mais il y a une place
et un moment pour
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