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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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et noire. Du coup, il ne sait plus quoi dire. Il
cherche un prétexte pour s’attarder un peu, au lieu de poursuivre sa route.
    — Ce n’est pas un endroit pour faire ses besoins,
dit-il sèchement.
    L’autre semble réfléchir, en silence, à la pertinence de la
remarque.
    — Ne me cassez pas les pieds, finit-il par déclarer.
    Ces paroles s’achèvent dans une quinte de toux. Tizón essaye
de voir le visage, mais la veilleuse du mur n’en éclaire que le contour. Puis
il entend un froissement d’étoffe – il suppose que l’homme reboutonne sa
braguette – et la faible lueur éclaire une figure émaciée, des yeux
sombres et profonds : un homme d’un peu plus de vingt ans, bien fait de sa
personne, qui observe Tizón d’un air hautain.
    — Mêlez-vous de ce qui vous regarde, dit-il.
    — Je suis commissaire de police.
    — Je n’en ai rien à foutre.
    Il est tout près et sent le vin. Tizón n’apprécie pas son
insolence et encore moins le ton méprisant qu’il prend pour la manifester. Un
moment, sous l’empire des réactions automatiques du métier et de l’habitude, il
est tenté de jouer de sa canne et de lui donner la correction qu’il mérite.
Stupide petit coq. Et puis il se rend compte que l’homme ne lui est pas
inconnu. À propos de navires, peut-être ? Soudain, il croit se souvenir
d’un marin. Un officier, sûrement. De là, le vin et la grossièreté. Différente
en tout cas des fanfaronnades de matelots, bravaches, bellâtres et autres
fleurons de la jeunesse gaditane. Chez celui-là, il perçoit plutôt une morgue
supérieure, dégoûtée. De bonne famille.
    — Un problème ?
    La nouvelle voix qui a retenti dans son dos manque de faire
sursauter le commissaire. Un deuxième homme est là. Tizón se retourne et voit
près de lui un individu brun, aux épais favoris, qui porte une veste à boutons
dorés. La veilleuse éclaire des yeux calmes, aux tons clairs.
    — Vous êtes ensemble ? s’enquiert Tizón.
    Le silence du nouveau venu laisse supposer une réponse
affirmative. Tizón balance la canne dans sa main droite. Il n’y a pas d’autre
problème, explique-t-il, que celui que peut poser son ami. L’autre continue de
le regarder, interrogateur. Il est tête nue et ses cheveux sont trempés par la
pluie. La veilleuse fait luire de grosses gouttes récentes sur ses épaules. Lui
aussi sent la taverne.
    — Je vous ai entendu prononcer le mot police, dit-il
finalement.
    — Je suis commissaire.
    — Et votre travail consiste à veiller à ce que personne
ne pisse dans la rue, par des nuits comme celle-là… Quand c’est le ciel tout
entier qui nous pisse dessus.
    Il a dit cela de sang-froid et sans déguiser son ironie.
Mauvais début. Pour sa part, Tizón les reconnaît enfin : ce sont les deux
corsaires, le capitaine et son second, avec lesquels il a eu, l’été passé, une
conversation nocturne à la Caleta. Une discussion aussi peu agréable que
celle-là, quoique moins humide. C’était quand il enquêtait sur cette histoire
de contrebande et de traversées de la baie qui l’a mené jusqu’au Mulâtre.
    — Mon travail, camarades, est celui que je juge
opportun.
    — Nous ne sommes pas vos camarades, réplique le plus
jeune.
    Tizón réfléchit rapidement. Il ouvrirait avec plaisir d’un
coup de canne la tête de ce godelureau – il se rappelle maintenant qu’il a
déjà eu la même envie lors de leur précédente rencontre –, mais ces
gens-là ne sont pas des enfants de chœur, et l’affaire risque de ne pas être facile.
C’est le genre d’histoires dont, si l’on n’y prend pas garde, on peut sortir
plus mal en point qu’on ne l’escomptait. Et plus encore ici, dans ce passage,
face à deux hommes qui ont bu, mais pas assez quand même pour avoir dépassé la
phase dangereuse de fermeté agressive. Et nulle ronde en vue pour le secourir.
Avec la pluie, se dit-il amèrement, ils doivent tous être allés s’abriter dans
une taverne. Salauds d’enfants de putain. De sorte que, reprenant la parole, il
décide d’en infléchir le ton. Plus diplomatique.
    — Je suis sur les traces de quelqu’un, admet-il avec
une simplicité délibérée, et, dans l’obscurité, je me suis trompé.
    Au-dehors, un éclair illumine le passage comme un brusque
coup de canon, et les silhouettes des trois hommes se découpent sur sa clarté.
Celui qui porte des favoris – le capitaine Lobo, de la Culebra, se
rappelle d’un coup Tizón –

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