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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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regarde le commissaire sans rien dire, comme
s’il soupesait très sérieusement ce qu’il vient d’entendre. Puis il fait un
fugace mouvement affirmatif.
    — Nous nous sommes déjà rencontrés, dit-il.
    — Nous avons eu une conversation, confirme Tizón. Il y
a longtemps.
    Un autre bref silence. Cet homme n’est ni bavard ni
menaçant, pense-t-il. Son compagnon non plus. Ensuite, il voit le corsaire
acquiescer.
    — Nous étions dans une taverne, tout près d’ici, en
joyeuse compagnie… Mon ami est venu prendre l’air et se soulager un peu.
Demain, nous reprenons la mer.
    Maintenant, c’est Tizón qui acquiesce.
    — Je l’ai pris pour un autre, admet-il.
    — Tout est réglé, alors… Non ?
    — Il semble.
    — Dans ce cas, je vous souhaite bonne chance dans votre
ronde.
    — Et moi bonne chance dans votre taverne.
    Resté dans le passage, Tizón voit les deux marins, redevenus
des formes obscures, sortir sous la pluie et se fondre dans les ténèbres que
percent par instants les éclairs qui claquent comme des coups de feu et
écrasent leurs ombres sur le sol, l’une contre l’autre, sous l’épaisse nappe
d’eau. Alors le policier se souvient enfin de tout : ce même capitaine
Lobo est l’homme dont on dit – personne n’a pu le prouver, et les témoins
sont restés bouche cousue – qu’il a, voici deux mois, grièvement blessé un
capitaine du génie dans un duel, sur le récif de Santa Catalina. Coriace, le
bougre.

 
16
    Clarté d’eau et de sel. Hautes maisons très blanches le long
des arbres de l’Alameda, avec des jardinières fleuries entre le fer forgé des
balcons et les miradors peints en vert, rouge et bleu. Un Cadix comme celui des
estampes, constate Lolita Palma qui sort de l’église, ajuste sa mantille dorée fixée
au peigne par des épingles, et rejoint les autres invités sous les tours quasi
mexicaines du Carmel, en s’abritant les yeux derrière l’éventail déplié pour
les protéger de la lumière. La journée est splendide et convient parfaitement
au baptême du fils de Miguel Sánchez Guinea. La cérémonie achevée, le
nouveau-né dort dans les bras de ses parrains, sous un flot de langes et de
dentelles, abreuvé de caresses, de félicitations et de vœux d’une longue vie et
d’une prospérité qui soient aussi profitables pour les siens que pour la ville.
Tu me l’as donné païen et je te le rends chrétien, dit la marraine au père de
l’enfant, comme le veut la coutume. Même les salves des canons français
semblent fêter l’événement, car ils ont commencé à tirer depuis le Trocadéro au
moment même où se terminait la cérémonie. En fait, ils tirent désormais
quotidiennement, mais le lieu reste hors de la portée de leurs bombes ;
aussi est-ce à peine si l’on prête attention à ce grondement lointain,
monotone, auquel la ville s’est depuis longtemps habituée.
    — Même la musique est au rendez-vous, commente le
cousin Toño en coupant l’extrémité d’un cigare.
    Lolita Palma regarde autour d’elle. Les invités, qui sont
nombreux – chapeaux légers à larges coiffes de couleurs claires, peignes et
mantilles de dentelle blanche, dorée ou noire selon l’âge et l’état
civil –, se rassemblent en bavardant tranquillement entre le porche de
l’église et le bastion de la Candelaria ; et peu à peu, sans recourir aux
voitures et aux calèches qui attendent sur le parvis, ils marchent dans
l’Alameda vers le lieu du banquet. Les dames sont au bras de leurs maris ou de
leurs proches, les enfants courent sur la terre blanchâtre, et tous jouissent
comme s’ils leur appartenaient – et, d’une certaine manière, ils leur
appartiennent – de l’allée et du panorama splendide de la mer et du ciel
lumineux, impeccables, qui s’étendent au-delà des remparts vers Rota et El
Puerto de Santa María.
    — Raconte-nous le spectacle d’hier soir, Lolita,
demande Miguel Sánchez Guinea. On dit que ç’a été un succès.
    — Un succès oui… Et une belle frayeur.
    Les conversations – surtout celles des hommes –
tournent autour des affaires et des derniers événements militaires, aussi
désastreux pour les armes espagnoles qu’à l’ordinaire : la prise d’Alicante
par les Français, la défaite du général Ballesteros à Bornos. On commente aussi
la rumeur d’une prochaine attaque ennemie contre la Carraca, qui disloquerait
le système défensif de l’île de León et menacerait la

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