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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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tête, lugubre, tout en tapotant le côté où
il sent la bosse dure du pistolet.
    — Ou peut-être qu’il finira par accepter le jeu,
conclut-il, et qu’il viendra où je l’attends.

 
17
    L’ultime lumière du soir s’efface en s’estompant très
lentement pour laisser place à la nuit aux tons violets qui s’insinue
au-dessous des terrasses, des toits et des campaniles. Lorsque Lolita Palma
arrive en calèche au Mentidero – accompagnée de sa femme de chambre, Mari
Paz, et du second de la Culebra, Ricardo Maraña –, les vitres des façades
orientées au ponant reflètent l’embrasement rouge qui est en train de
s’éteindre sur la mer. C’est l’heure, si gaditane et si goûtée des habitants,
de la faible clarté marine : quand les voix et les bruits parviennent
amortis et lointains comme les coups de marteau d’un calfat sur une barque du
port, quand les pêcheurs revenant des remparts passent sous les lanternes
encore éteintes, leur canne sur l’épaule, quand les oisifs reviennent d’avoir
admiré le coucher du soleil au-delà du phare de San Sebastián, et qu’à
l’intérieur des boutiques et des porches on commence à allumer bougies,
quinquets et chandelles qui intensifient l’effet de clair-obscur en émaillant
de leurs lueurs diaprées la pénombre indécise et paisible au sein de laquelle
la ville se recueille chaque jour.
    À la tombée de la nuit, la place de la Vraie Croix, connue
sous le nom de Mentidero, ressemble à un champ de foire. Ordonnant à la femme
de chambre et au cocher d’attendre au coin de la rue du Voyer, Lolita Palma
accepte la main que lui offre Maraña, descend de la voiture, dispose sa
mantille de dentelle noire sur sa tête et ses épaules, et chemine en compagnie
du jeune marin entre des tentes, des enfants qui courent en jouant et des
familles entières qui, assises par terre, font la cuisine sur des foyers de
fortune et s’apprêtent à passer la nuit à la belle étoile. Ces dernières
semaines, les bombardements français se sont intensifiés, en augmentant leur
portée. Désormais, les bombes tombent à une fréquence systématique et, bien que
le nombre des victimes ne soit pas très élevé – beaucoup de grenades
continuent de ne pas exploser et font peu de dégâts –, les habitants des
zones les plus exposées profitent de la douceur des nuits pour se réfugier dans
cette partie de la ville que ne frappe pas l’artillerie ennemie. Improvisant
des abris avec des couvertures, des paillasses, des bâches et des voiles de
bateau, ces réfugiés occupent la place du Mentidero et une partie de
l’esplanade qui s’étend entre les bastions de la Candelaria et du Bonete.
Chaque soir, le quartier se transforme ainsi en campement nomade où viennent
maintenant s’ajouter aux tavernes et cabarets traditionnels les gargotes en
pleine rue, le vin, la conversation, la musique et les chansons qui permettent
aux Gaditans et aux émigrés, mi-résignés, mi-joyeux, de supporter les
difficultés de la situation.
    Pepe Lobo est en train de dîner devant le café du Petit
Versailles, à la porte de la boutique de comestibles du Nègre, située au coin
de la rue d’Hercule : un établissement de réputation douteuse, spécialisé
dans les sardines grillées, le poulpe rôti et le vin rouge. Lorsque viennent
les beaux jours, son propriétaire installe dehors trois ou quatre tables
fréquentées par des marins et des étrangers qu’attirent les femmes qui, à la
tombée de la nuit, rôdent dans la rue même ou l’allée voisine du Persil. Lolita
Palma, qui a vu le corsaire, s’arrête sans que celui-ci s’aperçoive de sa
présence et laisse Ricardo Maraña continuer seul. Cela fait plus d’une heure
qu’elle cherche Lobo dans la ville : d’abord au bureau des Sánchez Guinea,
où on lui a dit qu’il était passé dans l’après-midi ; puis au port, où
elle a trouvé la Culebra prête à lever l’ancre dès que tombera le fort
vent de noroît qui souffle depuis deux jours dans la baie. Prévenu par le
patron d’un canot, le second du cotre a débarqué immédiatement – une
question de vie ou de mort, lui a-t-elle dit sans autres explications – en
s’offrant courtoisement, avec sa froideur et sa correction habituelles, à
l’accompagner au Mentidero où il pensait que son commandant devait dîner.
Maintenant, Lolita voit de loin le second aborder la table de Pepe Lobo et se
pencher pour échanger quelques mots en se tournant dans

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