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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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à
l’heure.
    Tizón l’imite, mais humecte à peine ses lèvres. Le
professeur boit à petites gorgées et mange deux des quatre olives que le
tavernier a posées sur une soucoupe. En fin de compte, poursuit-il, l’exemple
du chasseur n’est pas mal choisi : quelqu’un qui, après avoir longtemps
guetté l’animal, ne bougerait plus du terrain que celui-ci fréquente, en se
familiarisant avec les endroits où il boit, dort et mange. Avec ses refuges et
ses habitudes. Au bout d’un certain temps, le chasseur imiterait beaucoup de
ces comportements, voyant, lui aussi, cet espace comme quelque chose de
personnel. Il s’adapterait au territoire, en se l’appropriant au point de
coïncider irrémédiablement avec la proie qu’il traque.
    — Non, ce n’est pas un mauvais exemple, admet Tizón.
    Barrull, qui semble réfléchir à ce qu’il vient de dire,
regarde le tavernier qui lave les verres dans levier, puis le père qui lit dans
son coin. En reprenant la parole, il baisse la voix.
    — Un jour que nous parlions de ce même sujet, vous avez
recouru à l’image des échecs. Et vous avez probablement raison… Cette ville est
le territoire. L’échiquier. Un espace – et tant pis si cela vous
déplaît – que vous avez fini par partager avec l’assassin. Pour cette
raison, vous voyez Cadix comme moi et d’autres ne pouvons le voir.
    Il regarde la soucoupe en continuant à réfléchir et mange
les deux olives de Tizón.
    — Et même si un jour tout cela se termine, ajoute-t-il,
vous ne pourrez plus jamais le voir comme avant.
    Il sort un porte-monnaie pour payer les manzanillas, mais
Tizón fait signe que non et attire l’attention du tavernier. Mets ça sur mon
compte, dit-il. Ils sortent et marchent lentement en direction de la place de
l’Hôtel de Ville. Leurs pas résonnent dans les rues vides. Une lanterne allumée
au coin de la rue Juan de Andas allonge leurs ombres sur les pavés, devant les
portes closes des boutiques de couture.
    — Que pensez-vous faire maintenant, commissaire ?
    — Maintenir mon plan, tant que ce sera possible.
    — Les vorticules ?… Le calcul des
probabilités ?
    Il y a dans le ton une légère pointe d’ironie, mais Tizón ne
s’en offusque pas.
    — Ah, si calculer était vraiment possible !
répond-il avec franchise. Il y a certains lieux que je tiens particulièrement à
l’œil. Je les ai explorés et, depuis des jours, des semaines, j’en étudie
chaque détail.
    — Ils sont nombreux ?
    — Trois. L’un est hors de la portée des tirs français.
Je l’écarte donc, en principe… Les autres sont plus accessibles.
    — Pour l’assassin.
    — Bien entendu.
    Le policier se tait un moment, pendant qu’il soulève un pan
de sa redingote. À la lueur déjà lointaine de la lanterne, il montre la crosse
d’un pistolet Ketland à double canon qu’il porte au côté droit de sa ceinture.
    — Cette fois, il ne m’échappera pas, commente-t-il,
sérieux. Je suis paré.
    Il remarque que Barrull le regarde avec attention,
manifestement déconcerté. Tizón sait que c’est la première fois, depuis qu’ils
se connaissent, que le professeur le voit porter une arme à feu.
    — Avez-vous pensé qu’avec votre intervention vous avez
pu modifier le territoire de l’assassin ?… En perturbant ses idées, ou ses
intentions ?
    Cette fois, c’est Tizón qui est surpris. Ils arrivent sur la
place San Juan de Dios, où ils sentent la brise fraîche et salée de la mer
proche. Une calèche y stationne, son cocher endormi sur le siège. Sur leur
gauche, sous le double pinacle de la Porte de Mer, éclairée du côté de la terre
par une lanterne qui teint de jaune les pierres du rempart, les sentinelles
procèdent à la relève. Leurs buffleteries blanches et l’éclat de leurs
baïonnettes se détachent dans la pénombre devant les guérites.
    — Je n’y avais pas pensé, murmure le policier.
    Il reste un temps sans parler, considérant cette nouvelle
perspective. Finalement, il hoche la tête, en l’admettant.
    — Vous voulez dire que c’est peut-être pour ça qu’il
reste si longtemps sans tuer.
    — C’est possible, confirme Barrull. Il se peut que vos manœuvres
autour des bombes, en modifiant le hasard innocent – il faut bien trouver
un mot – qui dirigeait les tirs de l’artilleur français, aient changé les
schémas mentaux de l’assassin. Et le déconcertent… Peut-être qu’il ne tuera
plus.
    Tizón baisse la

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