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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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pareil cas. Il est certain
que ses hommes ont entendu les coups de feu et ne tarderont pas à arriver. Et
cette fois est la bonne, conclut-il. Désormais, le loup a planté les crocs dans
sa proie, et il n’est pas disposé à la lâcher. Tant, au moins, qu’il pourra
faire ce qu’il faut pour l’acculer un peu plus. La première chose, c’est de
boucler le lieu tout le temps nécessaire. Refermer le filet. Que nul ne sorte
de là sans avoir été fouillé de haut en bas.
    Debout dans la brume, Tizón range le pistolet dans sa poche,
porte le sifflet à ses lèvres et émet un long appel, par trois fois. Puis il
allume un cigare et attend la venue de ses hommes. Il en profite pour
récapituler l’ordre des événements. Tout reconstituer. C’est alors qu’il se
demande ce qui a pu se passer avant, dans la partie obscure de la place.
Pourquoi Cadalso a crié, si c’était bien lui, et pourquoi les premiers coups de
sifflet.
     
    *
     
    Dans le petit salon de réception du rez-de-chaussée, au
milieu des estampes marines encadrées sur la plinthe haute de bois sombre, le
léger tic-tac de la pendule anglaise meuble les silences. Ceux-ci sont nombreux
et désemparés. Pauses de stupéfaction et d’horreur. Assise dans le fauteuil
tapissé de cuir, Lolita Palma tord un mouchoir entre ses doigts. Elle a les
mains jointes sur sa robe bleu sombre ceinte à la taille d’une rangée de
boutons en jais.
    — Comment a-t-elle été découverte ?
questionne-t-elle en frissonnant.
    Le policier – commissaire Tizón, a-t-il dit en se
présentant – est assis sur le bord du sofa, rigide, le chapeau à côté de
lui et la canne contre les genoux. Sa redingote marron, de coupe commune, est
aussi froissée que son pantalon. Son visage est ravagé : paupières
rougies, cernes profonds sous les yeux, menton pas rasé sous les épais favoris
qui rejoignent la moustache. Une sale nuit, sans aucun doute. Sommeil et
épuisement. Le nez aquilin, fort, rappelle celui d’un rapace. Un aigle cruel, dangereux
et fatigué.
    — Par hasard, dans la cour de la remise à bois… Un de
nos hommes est entré pour assouvir un besoin naturel et a vu le cadavre à
terre.
    Il parle en la regardant dans les yeux, mais elle remarque
sa gêne. De temps en temps, il dirige un regard rapide vers la pendule du mur,
comme si son esprit s’échappait ailleurs. On dirait qu’il est désireux
d’abréger la conversation. L’ennuyeuse formalité qui le retient ici.
    — Elle était très… maltraitée ?
    Le policier a un geste ambigu.
    — Elle n’a pas été violée, si c’est le sens de votre
question. Pour le reste… Eh bien… Ça n’a pas été une mort agréable. Aucune ne
l’est.
    Il se tait, laissant Lolita Palma imaginer le reste. Elle
frissonne de nouveau. Encore incrédule. Placée, malgré elle, au bord d’un abîme
inattendu. De douleur et de noire épouvante.
    — C’était presque une enfant, murmure-t-elle,
effondrée.
    Elle continue de tordre son mouchoir. Elle ne veut pas
fléchir, et elle a réussi jusqu’à maintenant. Pas devant cet homme. Ni devant
personne. Le cousin Toño qui s’est précipité en apprenant la nouvelle est en
haut avec Curra Vilches et d’autres amis et voisins, décomposé. Écroulé dans un
fauteuil et pleurant comme un gamin.
    — A-t-on arrêté celui qui a fait ça ?
    Même geste que le précédent. La question semble accentuer la
gêne du commissaire.
    — Nous nous en occupons, répond-il sur un ton neutre.
    — Est-ce le même que pour les autres femmes ?… La
rumeur courait depuis des mois.
    — Il est trop tôt pour l’établir.
    — On sait que, peu avant, une bombe est tombée presque
au même endroit ? Est-ce vrai qu’elle a tué deux personnes et blessé trois
autres ?
    — Il semble que oui.
    — Quel malheureux hasard.
    — Très malheureux. Oui.
    Lolita Palma voit que le policier regarde d’un air distrait
les estampes aux murs, comme s’il voulait détourner le cours de la
conversation.
    — Pourquoi cette jeune fille est-elle sortie ?
    Elle le lui explique en quelques mots : elle allait
faire une course chez l’apothicaire de la rue de la Croix de Bois. Le
majordome, Rosas, est au lit, malade. Il lui fallait des remèdes, et lui-même a
demandé à Mari Paz d’aller les chercher.
    — Seule et à cette heure ?
    — Il n’était pas très tard. Dix heures, ou un peu plus.
Et l’apothicaire est tout près, à trois maisons d’ici… En dehors

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