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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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là.
    — Vous devrez m’excuser… On vient de confirmer que
l’expédition du général Lapeña a débarqué à Tarifa.
    Tizón sait ce que cela signifie. Ou il se l’imagine.
Quelques jours plus tôt, six mille soldats espagnols et autant d’anglais, sous
les ordres des généraux Lapeña et Graham, ont quitté Cadix en deux convois se
dirigeant vers l’est. Un débarquement à Tarifa suppose des actions militaires à
proximité de Cadix, possiblement autour du nœud de communications de Medina
Sidonia. Et peut-être une grande bataille, de celles dont le résultat, de
défaite en défaite jusqu’à la victoire finale, pour reprendre le mot en vogue
chez les humoristes locaux, sera discuté des semaines durant par l’opinion
publique gaditane dans les journaux, les cafés, les réunions mondaines, pendant
que les généraux – qui se jalousent à mort et ne peuvent se
supporter – et leurs partisans n’en finiront pas de s’agonir de noms
d’oiseaux.
    — Je dois vous prier de partir, dit Villavicencio. J’ai
des affaires urgentes à régler.
    Tizón et García Pico prennent congé, ce dernier avec des
révérences protocolaires que le gouverneur accueille d’un air distrait. Juste
au moment où ils vont quitter la pièce, Villavicencio semble se rappeler
quelque chose.
    — Je serai clair, messieurs. Nous vivons une situation
hors de l’ordinaire, une situation tragique. En ma qualité de responsable
politique et militaire, je ne dois pas seulement m’entendre avec la Régence,
mais aussi avec les Cortès, les alliés anglais et le peuple de Cadix. Et cela,
en plus de la guerre et des Français. Ajoutez-y le gouvernement d’une ville qui
a doublé le nombre de ses habitants et qui dépend de la mer pour son
approvisionnement, sans compter les risques d’épidémies et autres problèmes…
Comme vous le comprendrez, il est sûrement horrible qu’un fou barbare se
promène en se livrant à des atrocités sur les jeunes filles, mais ce n’est pas
pour autant mon principal souci. En tout cas, tant que cette affaire n’éclatera
pas au grand jour pour devenir un scandale public… Est-ce que je m’explique
bien, commissaire ?
    — Parfaitement, mon général.
    — Les jours qui viennent seront décisifs, car
l’expédition du général Lapeña peut changer le cours de la guerre en
Andalousie. Durant un certain temps, cela laissera cette affaire de crimes au
second plan. Mais si nous avons une morte de plus, si cette histoire transpire
trop et si l’opinion publique exige un coupable, je veux l’avoir immédiatement…
Est-ce que je m’explique toujours bien ?
    Très bien, pense le policier. Mais il ne le dit pas et se
borne à acquiescer. Villavicencio leur tourne le dos pour revenir à son bureau.
    — Encore une chose, ajoute-t-il en s’asseyant. Si
c’était moi qui avais à régler cette pénible affaire, je me préparerais des
solutions alternatives… Quelque chose qui, en cas de besoin, faciliterait la
besogne.
    — Votre Excellence se réfère-t-elle à un suspect prévu
d’avance à cet effet ?
    Ignorant le haut-le-corps de García Pico et le regard
furibond qu’il lui adresse, Tizón demeure sur le pas de la porte dans l’attente
d’une réponse. Celle-ci arrive après un court silence, irritée et sèche :
    — Je me réfère à l’assassin, un point c’est tout. Avec
toute cette racaille étrangère qui a envahi la ville, ça peut être n’importe
qui.
     
    *
     
    La demeure des Palma est grande, seigneuriale, une des
meilleures de Cadix ; et Felipe Mojarra la contemple avec plaisir, heureux
que sa fille Mari Paz y soit employée. Situé à quelques pas de la place San
Francisco, l’édifice en occupe tout un angle : quatre étages avec cinq
balcons et une porte principale dans la rue du Bastion, et quatre autres
balcons sur la rue des Doublons, où se trouve l’entrée des bureaux et des
magasins. Appuyé sur la borne du coin opposé, une cape de Zamora sur les
épaules et son chapeau à bords relevés planté sur le mouchoir qui lui ceint la
tête, Mojarra attend que sa fille sorte, en fumant un cigare dont il a haché le
tabac avec sa navaja. Le saunier est un homme fier, qui a des idées bien
arrêtées sur la place de chacun. C’est pourquoi il a refusé d’attendre, comme
on le lui a proposé, la jeune fille dans le patio avec sa grille de fer
ouvragée, ses dalles en marbre, ses trois arcs à colonnes encadrant le grand
escalier et son petit

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