Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
admis dans la Marine royale. À
celle de gauche brille une belle émeraude, cadeau personnel de l’empereur
Napoléon quand Villavicencio se trouvait à Brest avec l’escadre
franco-espagnole, avant la bataille de Trafalgar, la détention du roi, la
guerre avec la France, bref avant que tout ne fiche le camp.
    — Je parlais de… enfin, vous savez. Un autre genre de
violences.
    — Personne ne les a violées. En tout cas, nous n’en
avons pas trouvé d’indices.
    Villavicencio garde le silence, le regard fixé sur Tizón. Il
attend. Le policier se croit obligé d’ajouter de nouvelles explications, sans
être sûr que le gouverneur le souhaite vraiment. C’est l’intendant qui l’a
amené ici. Don Juan María, a dit García Pico dans l’escalier – et cette
manière de désigner le gouverneur par son prénom ressemblait à un dangereux
avertissement concernant leurs positions réciproques –, désire un rapport
direct, verbal, en plus du rapport écrit. Plus de détails. Voir si les choses
pourraient échapper à son contrôle. Ou au vôtre.
    Tizón décide de se lancer :
    — D’une certaine manière, le meurtre de cette dernière
fille est une chance. Personne ne l’a réclamée, sa disparition n’a pas été
déclarée… Cela nous permet de maintenir l’affaire dans des limites discrètes.
Sans faire de vagues.
    Un léger signe d’assentiment du gouverneur lui indique qu’il
va dans la bonne direction. C’est donc de cela qu’il s’agit, conclut-il
intérieurement, en réprimant le sourire qui est sur le point d’affleurer sur
ses lèvres. Maintenant, il devine sur quel terrain il avance. Quel est
l’objectif de García Pico. Le sens de son avertissement dans l’escalier.
    Comme pour le lui confirmer, Villavicencio indique le
rapport de Tizón d’un geste négligent de la main qui porte l’émeraude.
    — Trois filles assassinées de cette façon, ce n’est pas
seulement une affaire… hum… difficile. C’est une atrocité. Et ce sera un
scandale public si la chose vient à transpirer.
    Nous y voilà, se dit Tizón. Je te vois venir,
excellentissime fils de pute.
    — En fait, elle a un peu transpiré, dit-il avec
prudence. Sans plus. Des rumeurs, des commentaires, des bavardages de bonnes femmes…
Inévitable, Votre Excellence le sait. La ville est petite et surpeuplée.
    Il se tait un moment pour observer l’effet produit. Le
gouverneur le regarde d’un air interrogateur et García Pico a modifié son
attitude d’apparente indifférence.
    — Mais même ainsi, poursuit le policier, nous gardons
la situation en main. Nous avons exercé quelques pressions sur les voisins et
les témoins. En démentant tout… Et les journaux n’en ont pas dit le moindre
mot.
    L’intendant intervient enfin. Le coup d’œil inquiet qu’il
adresse au gouverneur avant d’ouvrir la bouche n’échappe pas à Tizón.
    — Pour le moment. Mais c’est une histoire terrible.
S’ils y plantent une dent, ils ne la lâcheront plus. Et en plus, il y a cette
liberté de la presse dont ils abusent tous. Rien ne pourrait empêcher…
    Villavicencio lève une main pour l’interrompre. Cela saute
aux yeux qu’il a l’habitude d’interrompre les gens à son gré. À Cadix, un
général de la Marine est Dieu. Et avec la guerre, Dieu le Père.
    — Quelqu’un m’a déjà parlé de cette histoire. L’éditeur d’El Patriota a entendu des bruits. Le même qui, jeudi dernier, posait
des questions avec beaucoup d’impertinence sur l’origine du pouvoir des rois…
    Le gouverneur laisse ces derniers mots en suspens. Il
regarde Tizón comme s’il l’invitait à réfléchir pour de bon sur les fondements
de la royauté. Les journaux, finit-il par ajouter, acerbe. Que lui dire, dans
ces conditions ? Vous connaissez le genre d’individus que nous devons
supporter ici. Bien sûr, j’ai tout nié en bloc. Heureusement, cette engeance a
d’autres os à ronger. À Cadix, la seule chose qui intéresse vraiment, c’est la
politique, et même la guerre reste au second plan. Les débats à San Felipe Neri
épuisent l’encre des imprimeries.
    Un aide de camp en uniforme des Gardes du corps royaux
frappe à une porte latérale, s’approche du bureau et échange quelques mots à
voix basse avec Villavicencio. Le gouverneur acquiesce et se lève. Tizón et
l’intendant l’imitent sur-le-champ.
    — Si vous me permettez, messieurs. Je dois vous laisser
seuls un moment.
    Il quitte la pièce, suivi de

Weitere Kostenlose Bücher