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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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son aide de camp. Tizón et
l’intendant restent debout, contemplant par la fenêtre le paysage, les remparts
et la baie. De la maison du gouverneur, on jouit de belles vues ;
celles-là mêmes que pouvait admirer, il y a trois ans, le prédécesseur de
Villavicencio, le général Solano, marquis del Socorro, avant que la populace en
furie ne le traîne dans les rues en l’accusant d’être vendu aux Français :
un afrancesado. Solano soutenait que le véritable ennemi était les
Anglais et qu’attaquer l’escadre de l’amiral Rosily bloquée dans la baie
mettrait la ville en danger. La foule, exaltée et en plein soulèvement,
entraînée par la lie du port, contrebandiers, poissardes et autres gens de
mauvaise vie, a mal pris la chose. L’édifice a été pris d’assaut et Solano
conduit au supplice sans que les militaires de la garnison, terrifiés, lèvent
le petit doigt pour le sauver. Tizón l’a vu mourir transpercé d’un coup de lame
dans la rue de la Douane, sans intervenir. C’eût été folie de s’en mêler,
d’ailleurs le sort du marquis ne lui faisait ni chaud ni froid. Et ça n’a pas
changé. Aujourd’hui, si cela se représentait, il éprouverait la même
indifférence au spectacle de Villavicencio traîné dans la rue. Ou du juge García
Pico.
    Ce dernier le regarde, pensif.
    — Je suppose, commente-t-il, que vous êtes bien
conscient de la situation.
    Tu parles si j’en suis conscient, pense Tizón en revenant à
l’instant présent. C’est pour ça que tu m’as amené ici. Dans ce guet-apens avec
le grand homme.
    — S’il y a d’autres assassinats, nous ne pourrons pas
continuer à les cacher, dit-il.
    Maintenant, García Pico a pris une expression sévère.
    — Diantre ! Rien n’indique qu’il y en aura…
Combien de temps s’est écoulé depuis le dernier ?
    — Quatre semaines.
    — Et vous continuez à ne pas avoir d’indices
solides ?
    Ce vous continuez ne passe pas inaperçu de Tizón. Il
hoche la tête.
    — Aucun. Le criminel agit toujours suivant le même
mode. Il attaque dans des lieux solitaires des jeunes filles seules. Il les
bâillonne et les fouette jusqu’à la mort.
    Un très bref instant, il est tenté d’ajouter l’histoire des
bombes et de leurs points d’impact, mais il ne le fait pas. La mentionner
l’obligerait à donner trop d’explications. Et il n’est pas d’humeur. Il n’a pas
non plus d’arguments. Pas encore.
    — Un mois a passé, relève l’intendant. L’assassin s’est
peut-être lassé.
    Tizón fait une moue dubitative. Tout est possible,
répond-il. Mais il peut aussi attendre l’occasion propice.
    — Vous croyez qu’il tuera de nouveau ?
    — Peut-être que oui. Peut-être que non.
    — Dans tous les cas, c’est votre affaire. Votre
responsabilité.
    — Ce n’est pas facile. J’aurais besoin…
    L’autre l’interrompt en fendant l’air d’une main irritée.
    — Écoutez. Nous avons tous nos préoccupations. Don Juan
María a celles qui lui correspondent, moi les miennes, et vous les vôtres…
Votre travail consiste à faire en sorte que les vôtres ne deviennent pas les
miennes.
    Il a prononcé ces derniers mots le regard fixé sur la porte
fermée derrière laquelle a disparu Villavicencio. Puis il se tourne de nouveau
vers Tizón.
    — Ça ne devrait pas être difficile de trouver un
assassin qui agit de la sorte. Vous l’avez dit vous-même tout à l’heure :
la ville est petite.
    — Oui, mais pleine de gens.
    — Contrôler ces gens est aussi votre affaire. Tendez
vos filets, activez vos informateurs. Bref, gagnez votre salaire. – García
Pico montre la porte fermée et baisse la voix. – S’il y a un autre
meurtre, il nous faudra un coupable. Quelqu’un à exhiber en public, vous comprenez ?…
Quelqu’un à punir.
    Voilà qui devient définitivement clair, conclut Tizón,
presque soulagé.
    — Ces choses sont difficiles à prouver sans les aveux
du sujet, argumente-t-il.
    Il en reste là et regarde son interlocuteur d’un air
entendu. Tous deux savent parfaitement que la torture est sur le point d’être
abolie officiellement par les Cortès, et qu’aucun juge, procureur ou tribunal
ne prendrait sur lui de l’autoriser.
    — Dans ce cas, à vous d’assumer les responsabilités qui
vous échoient, tranche García Pico. Toutes.
    Villavicencio revient dans la pièce. Il semble préoccupé.
Absent. Il les regarde comme s’il avait oublié ce qu’ils font

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