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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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rires et des coups d’éventail. En souriant, Lolita promène son
regard autour d’elle. Il y a quelques soutanes. Un groupe de messieurs, sans
dames, discute autour d’une table. Lolita les connaît presque tous. Ils sont
pour la plupart jeunes, faisant partie des réformistes qui commencent à être
connus sous l’appellation de libres ou de libéraux, et parmi eux figurent
plusieurs députés aux Cortès : le fameux Argüelles, chef du clan, et José
María Quepo de Llano, comte de Toreno ; lequel, malgré son extrême
jeunesse, est délégué des Asturies. Les accompagnent l’homme de lettres Quintana,
le poète Francisco Martínez de la Rosa – joli garçon d’allure gitane avec
de grands yeux –, le jeune Antoñete Alcalá Galiano, fils du général de
brigade mort à Trafalgar, que Lolita connaît depuis son plus jeune âge, et
Ángel Saavedra, duc de Rivas : un capitaine qui attire les regards des
dames, pas seulement pour ses vingt ans qu’il porte avec grâce, ni pour les
aiguillettes d’état-major qui ornent sa veste, ni pour ses bottes à la
Souvarov, mais parce qu’il a été grièvement blessé à la bataille d’Ocaña et a
présentement le front bandé, conséquence d’un coup de baïonnette reçu au combat
de Chiclana. Dans un autre groupe, entourés d’officiers et d’aides de camp, se
tiennent le gouverneur Villavicencio, le lieutenant général don Cayetano
Valdés, commandant les forces légères de la baie, et les généraux Blake et
Castellanos ; le général Lapeña, pour sa part, toujours très remonté
contre les Anglais, reste invisible. Parmi les autres uniformes se détache le
rouge des officiers des Volontaires, couverts de broderies et d’aiguillettes en
quantité inversement proportionnelle à leur proximité du champ de bataille.
Quant aux femmes, il est facile de distinguer les Gaditanes des étrangères
aristocrates ou fortunées ; ces dernières sont vêtues à la mode française,
ceintures hautes, et les autres à l’anglaise, moins décolletées et dans des
tons plus sobres. Certaines émigrées plus âgées portent encore des
accroche-cœurs sur le front et les cheveux coupés sur la nuque à la mode dite
« à la guillotine » que personne, ici, n’arbore plus depuis
longtemps.
    Pour sa part, Lolita est mise avec discrétion, comme
toujours. Ce soir, elle a abandonné le noir ou le gris habituels pour une robe
bleue, corsage ajusté et taille basse, avec une mantille de dentelle dorée sur
les épaules et les cheveux retenus par deux petits peignes en argent. Pour tout
bijou, elle porte au cou un camée de famille cerclé d’or. Elle n’assiste
presque jamais à ce genre de réception, sauf si cela présente un intérêt
commercial. Et c’est justement le cas. L’invitation de l’ambassadeur anglais
est arrivée au moment où Palma & Fils souhaite obtenir un contrat
de fourniture de viande de bovins marocains destinée aux troupes britanniques.
En de telles circonstances il est conseillé de se montrer un peu, même si l’on
prévoit de se retirer tôt.
    Le capitaine Virués revient, suivi d’un domestique qui porte
la limonade sur un plateau. Fernández Cuchillero, qui vient de recevoir de
Buenos Aires une lettre de sa famille, raconte la tournure que prennent les
événements dans le Rio de la Plata, où la Junte insurgée refuse de reconnaître
l’autorité de la Régence. Tandis qu’elle prend le verre et remercie le
militaire de son amabilité, Lolita, surprise, voit entrer dans le salon don
Emilio Sánchez Guinea accompagné de son fils Miguel et du marin nommé
Lobo : les deux commerçants en habit noir et le corsaire en veste bleue à
boutons dorés et pantalon blanc. La présence de ce dernier produit en elle un
vague sentiment de gêne, et ce n’est pas la première fois. Elle ignore pourquoi
les Sánchez l’ont amené ce soir. En fin de compte, il n’est rien d’autre qu’un
associé minoritaire, subalterne. Un de leurs employés. Ou presque.
    — Allons donc…, commente le capitaine Virués qui a
suivi son regard. Voyez qui nous arrive : l’homme de Gibraltar.
    Lolita se tourne vers le militaire, étonnée.
    — Vous le connaissez ?
    — Un peu.
    — Pourquoi Gibraltar ?
    Virués tarde un instant à répondre. Quand il se décide
enfin, il sourit bizarrement.
    — Nous y avons tous les deux été prisonniers, en 1806.
    — Ensemble ?
    — Mais pas vraiment intimes.
    Le ton méprisant de la réponse ne passe

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