Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
endroit comme celui-là, ni dans aucun autre. S’il tombait à
la mer, il lui pousserait des branchies et des nageoires.
    — Ton père dit qu’il a fait ta conquête.
    Miguel expulse la fumée avec un rire amusé. Lolita et lui se
connaissent depuis l’enfance. Ils jouaient ensemble autour des maisons de campagne
de leurs familles respectives, sous les pins de Chiclana. Elle est la marraine
de son aîné.
    — Un homme véritable, résume-t-il. Comme ceux
d’autrefois.
    — Et bon marin, dites-vous, ton père et toi.
    — Le meilleur que je connaisse. – Miguel arrête de
tirer sur son cigare pour le pointer dans la direction du corsaire, qui discute
maintenant avec un aide de camp du général Valdés. – Il est de ces
individus tranquilles que rien ne trouble jamais, même en pleine tempête, quand
la côte est sous le vent et que les mâts sont en train de passer par-dessus
bord… Il fera de bonnes prises, si la chance lui sourit.
    — Il est allé à Gibraltar, je crois.
    — Il y est allé souvent. Une fois, comme prisonnier des
Anglais. Ça fait des années.
    — Et que s’est-il passé ?
    — Il s’est évadé. Comme ça, à leur barbe. Il a volé un
bateau.
    Les gens vont et viennent, se saluent, commentent le cours
de la guerre et des affaires, qu’ils mélangent souvent indifféremment dans la
conversation. Lolita Palma est de ces femmes – et cela intrigue toujours
les étrangers – qui ne se privent pas d’intervenir ; tout en restant
prudente, comme à son habitude, elle écoute avec attention et réserve ses
opinions, y compris quand on les lui demande. Durant un long moment, des
connaissances les abordent, elle et les Sánchez Guinea, afin de commenter la
marche des affaires et exprimer leur inquiétude pour les territoires américains
insurgés, la rébellion et le blocus de Buenos Aires, la loyauté de Cuba, le
chaos dans lequel la situation espagnole plonge tout l’autre côté de
l’Atlantique, où opportunistes et aventuriers pèchent en eaux troubles. Pour la
note que les Anglais, tôt ou tard, finiront par présenter pour leur aide dans
la guerre d’Espagne.
    — Vous m’excuserez, messieurs. Je suis lasse et il est
temps de penser à partir.
    Elle se retire quelques minutes dans le cabinet de toilette
où elle se rafraîchit un peu. En revenant, elle trouve le capitaine Lobo, juste
à mi-chemin du trajet qu’elle doit parcourir pour rejoindre le groupe où
retentissent les éclats de rire du cousin Toño. Par association d’idées, Lolita
pense que le corsaire a effectué un mouvement – le hasard n’existe pas
dans ce genre de manœuvre – semblable au parcours que trace un navire pour
en intercepter un autre : calculant la position estimée à un moment
déterminé et se postant en attente sur un point de l’océan, avec prudence et
patience. Il semble habile dans ce type de calculs.
    — Je souhaitais vous remercier.
    — De quoi donc ?
    — De participer à l’entreprise.
    C’est la première fois qu’elle a l’occasion de l’observer de
près et de lui parler. Il y a un mois, dans le bureau de la rue du Bastion, ils
ne se sont vus qu’un moment. Et Sánchez Guinea était là. Méfiante, Lolita Palma
se demande si ce ne sont pas le vieux commerçant ou son fils qui ont conseillé
cette rencontre au marin.
    — Je ne sais si vous êtes au courant, ajoute-t-il. Nous
appareillons dans une semaine.
    — Je sais. Don Emilio m’en a informée.
    — Et, à moi, il m’a dit que vous n’aimez pas les
corsaires.
    Direct, avec un léger sourire. Juste ce qu’il faut de
provocation pour ne pas être incorrect, ou discourtois. Des branchies, a dit
Miguel tout à l’heure. S’il tombait à la mer, il lui pousserait des branchies.
    — Monsieur Sánchez Guinea parle trop, parfois. Mais je
ne vois pas en quoi cela peut vous gêner dans l’exercice de vos
responsabilités.
    — Ça ne me gêne pas. Mais il serait peut-être utile de
vous expliquer en quoi consistent celles-ci.
    De près, son visage n’est pas désagréable mais manque de
finesse. Grand nez, profil mal dégrossi. Lolita remarque derrière l’oreille
gauche, à demi cachée par les pattes et le col de la veste, une cicatrice en
diagonale sous la naissance des cheveux, vers la nuque. Ses yeux clairs sont
d’un vert qui évoque la couleur du raisin fraîchement lavé.
    — Je sais parfaitement en quoi elles consistent,
répond-elle. J’ai été élevée au milieu des navires

Weitere Kostenlose Bücher