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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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officiers morts
d’ennui qui comptaient les jours en vivant de la charité anglaise et des
maigres secours qu’ils recevaient du côté espagnol, dans l’attente de la fin de
la guerre ou de l’accord qui leur permettrait de revenir parmi les leurs. Une
classe privilégiée, malgré tout, en comparaison du sort des simples soldats
enfermés dans des prisons et des pontons, pour qui la possibilité d’un échange
était beaucoup plus aléatoire. Parmi la vingtaine d’officiers qui jouissaient
de leur liberté de mouvement pour avoir donné leur parole d’honneur de ne pas
s’évader se trouvaient des gens de l’Armée et de la Flotte, et aussi des
capitaines de bateaux corsaires capturés. Cette dernière catégorie était
réservée aux seuls marins possédant leur brevet de capitaine et ayant commandé
des bâtiments d’une certaine taille et d’un certain tonnage. Ils étaient deux
ou trois, dont Pepe Lobo. Celui-ci faisait facilement cavalier seul et ne
fréquentait pas les officiers. Il semblait plus à son aise avec la populace du
port.
    — Les filles et le reste ? s’intéresse Lolita sur
un ton badin.
    — Plus ou moins. Des milieux guère recommandables, en
tout cas.
    — Mais ce n’est pas pour cela que vous le détestez.
    — Je n’ai jamais dit que je le déteste.
    — C’est vrai. Vous ne l’avez pas dit. Disons que vous
n’avez pas de sympathie pour lui. Ou que vous le méprisez.
    — J’ai mes raisons.
    Ils débouchent dans la rue du Bastion. Près de la maison des
Palma. Lolita pose une main sur le bras du militaire. Elle est décidée à ne pas
lâcher prise.
    — Ne vous imaginez pas que vous allez partir sans
m’avoir conté ce qui s’est passé à Gibraltar entre vous et le capitaine Lobo.
    — Pourquoi vous intéressez-vous à cet homme ?
    — Il travaille avec certains de mes associés… Pour moi,
en quelque sorte.
    — Je vois.
    Virués fait quelques pas, songeur, regardant le sol devant
ses bottes. Puis il relève la tête.
    — Là-bas, il ne s’est rien passé entre nous. En
réalité, nous ne nous voyions presque pas… Je vous l’ai dit, il évitait la
société des officiers espagnols… À proprement parler, il n’était pas des
nôtres.
    — Il s’est évadé, n’est-ce pas ?
    Le militaire se tait. Il se borne à esquisser un geste
ambigu. Mal à l’aise. Lolita en conclut que Lorenzo Virués n’est pas du genre à
parler des autres derrière leur dos. Pas trop, en tout cas.
    — Malgré la parole donnée, ajoute-t-elle, pensive.
    Après un autre court silence, Virués confirme. Lobo avait
donné sa parole, en effet. Cela lui permettait de se déplacer librement sur le
Rocher, comme les autres. Et il en a profité. Une nuit sans lune, lui et deux
de ses hommes qui travaillaient parmi les forçats du port et dont il avait
acheté la liberté aux gardiens – un de ces derniers, maltais d’origine, a
déserté avec eux – ont gagné à la nage une tartane mouillée dans le port
et, profitant d’un fort vent de levant, ils ont levé l’ancre, hissé la voile et
se sont laissé porter vers la côte espagnole.
    — Fâcheuse histoire, admet Lolita. Surtout quand on
pense à la parole d’honneur. Je suppose que ça ne vous a pas trop plu…
    — Ce n’est pas seulement cela. Dans leur fuite, ils ont
blessé un homme et en ont tué un autre. Le premier, une sentinelle, camarade du
Maltais, a été poignardé. Et le matelot qui était de garde sur la tartane quand
Lobo et les siens l’ont abordée a été retrouvé dans l’eau, le crâne ouvert… Du
coup, tous ceux qui étaient en liberté sur parole se sont vu retirer ce
privilège, et nous avons été enfermés dans Moorish Castle. J’y suis resté
moi-même sept semaines, jusqu’au jour où j’ai été échangé.
    Lolita Palma rejette son capuchon en arrière. Ils sont
debout devant le porche de sa maison, éclairé par les lanternes que Rosas, le
majordome, a disposées dans l’attente de sa maîtresse. Virués ôte son chapeau
et prend congé en joignant les talons. Ce fut un plaisir de vous accompagner,
dit-il. Je vous demande la permission de vous rendre visite de temps à autre.
Le militaire est un homme agréable, pense de nouveau Lolita. Il inspire
confiance. On peut lui faire crédit. S’il était commerçant, je ferais des affaires
avec lui.
    — Vous étiez-vous revus, depuis ?
    Virués, qui allait remettre son chapeau, suspend son geste.
    — Non. Mais un jeune

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