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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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camarade, lieutenant d’artillerie,
l’a rencontré récemment à Algésiras et a voulu le provoquer en duel… Avec la
plus totale impertinence, Lobo lui a ri au nez et l’a envoyé promener. Il a
refusé de se battre.
    En imaginant la scène, Lolita est bien près, tout en s’en
défendant, de la trouver amusante. Un vaudeville.
    — Pourtant, il ne semble pas être un lâche.
    Elle n’a pu éviter de laisser le sourire intérieur effleurer
ses lèvres. Le militaire s’en rend compte, car il fronce les sourcils et
s’incline un peu en joignant de nouveau les talons, avec une courtoisie
exagérée. Rigide devant la femme, méprisant pour l’homme dont ils parlent.
    — Je ne crois pas qu’il le soit. À mon avis, le fait
qu’il ne veuille pas se battre n’a rien à voir avec le courage. C’est plutôt
une question d’absence d’amour-propre… Pour des individus comme lui, le mot honneur n’a aucun sens. Ce sont des gens d’aujourd’hui, je le crains… Tout à fait de ce
temps. Et des temps à venir.
     
    *
     
    À deux milles et trois dixièmes de distance, l’œil droit
collé à l’oculaire du télescope achromatique Dollond, le capitaine Simon
Desfosseux observe les lumières lointaines de l’hôtel particulier où
l’ambassadeur anglais donne sa réception. Grâce aux pigeons voyageurs et aux
informations qui vont et viennent par la bouche de matelots et de
contrebandiers, l’artilleur est au courant que Wellesley, les états-majors
anglais et espagnol et la haute société gaditane fêtent ce soir la déconfiture
des Français à Chiclana. Les puissantes lentilles de l’appareil optique
permettent à Desfosseux de situer facilement l’édifice, illuminé comme un défi
sur la ligne obscure des remparts cernés par la mer, où quelques silhouettes
noires de navires se découpent vaguement sur la clarté d’une lune très petite.
    — Trois points cinq pour compenser, ce sera bon.
Élévation, quarante-quatre… Essayez de me la loger là-bas, Bertoldi. Soyez bon
garçon.
    Près de lui, assis sur une caisse, les tables de tir
éclairées par une lanterne sourde, le lieutenant Bertoldi complète les calculs,
se lève et descend les échelons de bois pour se rendre dans la redoute, où la
lueur de torches qui brûlent à l’autre bout du parapet permet de voir la gueule
énorme, cylindrique et noire de Fanfan. L’obusier de 10 pouces est orienté
vers son objectif, dans l’attente des dernières corrections que Bertoldi va
communiquer à ses servants. Quittant un instant le télescope, Desfosseux lève
la tête et jette un regard sur la tache blanche qui se découpe sur le ciel
noir : la manche à air en toile accrochée au mât au-dessus du poste
d’observation. Elle fait flop, flop. Le vent est relativement faible. La
dernière mesure indique une brise un peu fraîche de sud sud-est. D’où la
correction estimée de trois points et demi pour compenser l’effet du vent
latéral. Naturellement, ce pourrait être pire, mais, cette nuit, un vent plus
léger encore aurait été préférable ; ou alors, quitte à souhaiter des
conditions vraiment optimales, de celles qui vous font vous frotter les mains
de pur plaisir pyrotechnique anticipé, que ce soit un bon est sud-est, fort,
franc et constant. Un véritable cadeau du dieu Mars quand il souffle, rendant
possibles des droites et des paraboles parfaites ou presque, et des corrections
d’à peine zéro virgule quelque chose. Bonheur d’artilleur pur, ivresse de la
poudre et des éclairs. La gloire ! Cela supposerait qu’un certain nombre
de précieuses toises viendraient s’ajouter pour assurer la portée et la
direction du tir à travers la baie. Des facteurs que Desfosseux, artilleur
consciencieux s’il en est, souhaite toujours les plus adéquats possibles ;
mais qui, en cette nuit particulière, lui permettraient en outre de se joindre
à la fête de l’ambassadeur anglais. Et c’est pour cela qu’il est là, empêchant
ses hommes d’aller se coucher, à dix heures du soir et sans avoir soupé.
    Après un dernier coup d’œil dans le télescope, Desfosseux
descend à son tour du poste d’observation pour gagner la redoute. Là, derrière
le talus de terre qui protège les pièces d’artillerie de la batterie, l’obusier
Villantroys-Ruty de 10 pouces a son espace réservé : un retranchement
carré et spacieux au centre duquel trône la pièce, son tube noir menaçant formant
angle avec l’énorme affût à

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