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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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colonnes : ce que j’aime, ce que je n’aime pas. Trop facile, encore qu’éclairant.
    Ce que je n’aime pas  : sa façon de considérer que l’autre n’existe pas. Ou plutôt, car il faut nuancer, que l’autre comprendra que J-J S-S fait comme s’il n’existait pas. Sa façon de brutaliser les gens, sa naïveté mêlée de roublardise. Sa manière de faire appel aux gens dont il a besoin, et de s’en débarrasser, par opération chirurgicale, quand ils deviennent pesants, ou de les oublier quand ils ne lui sont plus utiles.
    Politiquement : sa charge contre tous les moulins à vent. Sa perpétuelle hésitation entre la tactique et l’instinct, l’une le poussant à ménager tout le monde, l’autre à ne ménager personne. Son continuel changement d’objectif : avec les communistes, par exemple, qu’il veut alternativement séduire ou condamner. Un jour il mise sur l’éclatement de la majorité pompidolienne, un autre il la reconstitue, plus solide qu’auparavant, en se présentant contre Jacques Chaban-Delmas, par exemple.

    À plus tard les considérations générales sur Jean-Jacques Servan-Schreiber. Voilà pour ce qui se passe ce soir, chronologiquement :
    19 h 30 . Hôtel de ville. Chaban arrive au pas de course, l’air fermé, les cheveux très gris, d’un coup, peu amène. Autour de lui on parleballottage. On dit que Jean-Jacques Servan-Schreiber a remonté dans les deux derniers jours, que ses dernières réunions ont été formidables. J’entends les phrases lancées par Chaban à ses lieutenants : « Les salopards, ils ont contesté les résultats, ils trichent, ils ne cessent pas de tricher ! » Bon !
    19 h 45 . Permanence de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Sont là François Garcia, Nick Maloumian, Claudie de Surmont, Michel Albert 16 , Jean-Louis Servan-Schreiber et la famille. Une atmosphère curieuse dans cette vieille maison louée par Claudie pour le temps de la campagne : une vingtaine de pièces, un jardin à l’abandon. Nick engueule les journalistes. Bruno 17 , fidèle à son poste, comme à l’accoutumée, venu pour soutenir Servan.
    20 h 20 . Premières informations : Chaban : 62 % ; Servan-Schreiber : 17 %. Stupeur.
    20 h 26 . Sur les 1 000 premiers bulletins, chiffres confirmés : Chaban : 61 % ; Servan-Schreiber : 17 % ; Taix : 7 %.
    20 h 33  : Longue attente. Lourde. Jean-Jacques Servan-Schreiber n’est pas là. Il a sans doute raison de ne pas prendre le choc en direct. Première estimation de Honeywell Bull faite par Jean Ranger, mon ex-camarade de Sciences-po : Chaban : 59,5 % ; Jean-Jacques Servan-Schreiber : 18,5 % ; Rivière (PC) : 10,2 ; Taix : 7,9 %.
    21 heures  : Jean-Jacques arrive à sa permanence. La voix sourde, il serre des mains, embrasse certains, puis se retire quelques minutes avec son frère Jean-Louis et Michel Albert. Il reparaît et fait front à la meute. Il persiste et signe : « L’opposition n’existe, dit-il, que si elle est réformatrice. Le marxisme est incapable d’incarner l’opposition. Les chiffres sont là. Ils l’étaient, de façon plus agréable, à Nancy. »
    Je me dis que c’est peut-être bon pour lui, cet échec. Peut-être sera-t-il « pondéré » par les difficultés qui surgissent sur la route difficile qu’il a empruntée.
    À côté de moi, un homme, supporteur d’hier, tire déjà à vue, me prenant à témoin : « Dans une campagne électorale, dit-il, la moindre erreur se paie. Et Dieu sait qu’il y en a eu, des erreurs ! Personne n’a jamais eu le moyen d’infléchir sa ligne. »

    21 septembre
    Coup de téléphone à Maurice Faure, sitôt que j’arrive de Bordeaux, le lundi à la première heure.
    « La tempête souffle, me dit-il. J’ai favorisé l’élection de Nancy, soutenu Bordeaux par fidélité. Mais, aujourd’hui, je ne peux plus rien. »
    Je déjeune avec lui. Il commence par une longue tirade sur Jean-Jacques Servan-Schreiber :
    « Ce n’est plus possible, me dit-il. Il n’est pas amendable. Il n’y a rien à faire. Il vous met toujours devant le fait accompli. C’est comme la peinture de la rue de Valois : il ne m’avait même pas dit qu’il faisait repeindre. J’ai eu l’air d’un con. Je le sens bien, chez moi, dans le Lot. Les gens les plus favorables à Servan-Schreiber au moment du manifeste radical me disent aujourd’hui : c’est un rigolo. »
    Je le laisse parler. Il me dit que Jean-Jacques Servan-Schreiber

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