Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

l’échec de Chaban. Celui-ci, en effet, devait se charger de l’UDR pour diriger la majorité, il ne l’a pas obtenu. Georges Pompidou ne lui a pas pardonné son discours sur la « nouvelle société » du 16 septembre.
    Du mariage de raison qui rapproche en ce moment la CGT et la CFDT, ensuite. Un mariage qui contrarie de façon visible la stratégie sociale de Matignon. Dans une première phase, celle qu’on peut appeler de la guerre froide, la CFDT s’était engagée dans une politique contractuelle, pas la CGT. Selon lui, « le récent congrès de la CFDT a été marqué par deux faits : le rapport Jeanson, fondé sur la philosophie de la lutte des classes, qui a fait réfléchir la CGT et le PC, lesquels y ont vu la possibilité de tendre la main aux catholiques. Et l’intervention de Descamps, qui s’est davantage soucié de coller à sa base, dénonçant certains militants ou dirigeants CFDTistes qui sont à trois pas devant les autres.
    « Or, poursuit-il, pour la CGT, l’unité d’action avec la CFDT est indispensable, parce que sa préoccupation fondamentale est l’unité d’action syndicale et son leadership sur le mouvement ouvrier. Les discussions ont donc commencé entre les deux syndicats, qui ont signé un accord portant sur les salaires, les retraites et la durée du travail. »
    Cela étant, l’unité, dans les faits, est une grande bataille, affirme-t-il : il n’y a pas d’accord sur l’action syndicale dans les entreprises privées. En revanche, dans le secteur public, il prédit un formidable virage de la CGT vers la politique contractuelle : ses dirigeants sont tentés parce qu’ils ont tâté le pouls des cheminots et ont vu que ceux-ci étaient désireux d’y entrer. Tout comme les syndicats d’EDF.
    D’où sa conclusion : l’avenir de la politique contractuelle est davantage un problème entre syndicats qu’un problème entre syndicats et gouvernement.
    Il n’est guère optimiste sur l’avenir de la « nouvelle société » : « Ce qui a tué l’expression nouvelle société , me confie-t-il, c’est qu’elle a été reliée à la majorité. C’est d’ailleurs la même chose pour la notion de contrat de progrès. »
    L’ouverture lui paraissait nécessaire pour transcender les clivages gauche-droite. C’était même une condition de son engagement à Matignon derrière Chaban-Delmas. Visiblement, aujourd’hui, il se pose des questions sur son choix.

    16 janvier
    Contrairement à Delors, Claude Estier est optimiste sur les travaux d’unification du Parti socialiste. L’année 1971 sera pour lui « celle de l’unité et aussi du renouveau du socialisme démocratique ». Il me parle des nouvelles structures dont doit se doter le parti, qu’il conçoit comme un parti ouvert, « un parti banc d’essai de la démocratie socialiste ».
    Mais, dit-il, il y a un autre problème important à régler : celui du comportement. Pourquoi ? « Parce que ce qui a longtemps discrédité le socialisme dans notre pays, c’est le trop grand écart entre les motions maximalistes des congrès et la pratique quotidienne. Nous dirons ce que nous ferons, me dit-il superbement, et nous ferons ce que nous dirons ! »

    18 janvier
    Les nouveaux secrétaires généraux adjoints de l’UDR ont été désignés.
    Le premier est Pierre Lelong, député du Finistère depuis le 30 juin 1968, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Inutile de dire, pour continuer sur le thème de l’ouverture – ou plus exactement de la latitude d’action vis-à-vis de l’Élysée –, que Lelong a appartenu au cabinet de Georges Pompidou, où il a été chargé de mission de 1962 à 1967.
    Quant au second, Michel Herson, il a 38 ans ; il a été, lui, conseiller technique de Michel Debré. C’est, dit-on, un doctrinaire.
    Jean Valleix fait son entrée au secrétariat. Il est député de la Gironde et chargé de mission de Jacques Chaban-Delmas. Il a été élu en mars 1967 et réélu en 1968.
    Enfin, Christian Poncelet, député des Vosges, ancien syndicaliste chrétien (CFDT), spécialiste des questions sociales.
    Bref : un pompidolien, un proche de Debré, un ami de Chaban et un ancien syndicaliste. Des vertus de l’équilibre...

    Ce soir, François Mitterrand à « Armes égales », au studio 101. Il m’appelle juste avant d’y aller : « Eh bien, ça ne va pas être commode du tout, ce débat. Vous en parlez à votre aise, ce n’est pas vous