Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

également tort à son « patron », Chirac et lui décident en toute connaissance de cause de désobéir à Pompidou. « Le mieux, conviennent-ils, est de réunir néanmoins lebureau politique de l’UDR. Chaban n’aura pas le temps de le préparer. Dans l’état actuel des choses, le bureau politique n’est pas prêt à “démissionner” Tomasini. »
    Chirac appelle Debré, lui expose son point de vue et arrive à faire entendre le sien : une démission de Tomasini serait pire que tout.
    Puis il demande à voir Pompidou, qui le reçoit sur l’heure. « C’est la première fois que je vous désobéis, lui dit-il, mais c’est vrai : je l’ai fait. »
    Pompidou sourit : « Vous ne m’avez rien dit, je n’ai rien entendu », répond-il.
    Bureau politique dans l’après-midi : Michel Debré commence par attaquer Tomasini, et puis, en chemin, change d’avis, bifurque et affirme que, quoi qu’il en soit, il est impossible de chasser Tomasini sans que l’UDR éclate. Jacques Baumel, mandaté à cette réunion par Chaban, interloqué par la volte-face de Debré dont Chaban lui a annoncé il y a quelques minutes à peine qu’il était de son côté, intervient, rouge de colère. Mais il est trop tard : Chirac, aidé de Michel Debré, a retourné la situation.
    Il a joué là sa carrière parce qu’il avait, me dit-il, « l’impression que Georges Pompidou avait été possédé, floué par Chaban ».

    9 mars
    Déjeuné à Matignon avec Pierre Hunt et Roger Vaurs 17 . Une chose est certaine : Chaban n’est pas près d’oublier l’affaire Tomasini.

    15 mars. Premier tour des élections municipales
    François Mitterrand est indigné par les commentaires des radios et du ministère de l’Intérieur. Selon lui, six ou sept villes de plus de 30 000 habitants tomberont mardi prochain entre les mains de la gauche, et deux ou trois passeront à l’opposition centriste (La Rochelle, Agen, etc.). Pour sa part, dans la Nièvre, il a tout raflé, de Nevers à Clamecy. Et les conventionnels sont à titre personnel très bien placés à Vienne (Louis Mermaz) et à Romans (Georges Fillioud). Deux faits lui paraissent intéressants : 1) L’union de lagauche, partout où elle a été réalisée, a marché ; 2) À condition, précise-t-il néanmoins, que l’équilibre interne entre gauche communiste et gauche non communiste ait été maintenu, ce qui n’a pas été le cas à Paris, où les communistes ont été trop peu conciliants.

    22 mars. Deuxième tour
    Quoi que m’ait dit François Mitterrand la semaine dernière, les communistes progressent : ils passent de 17 250 élus en 1965 à 20 316 en 1971. Ils ont gagné six villes de plus de 30 000 habitants. La gauche non communiste se maintient, à l’exception des radicaux. Les perdants sont les centristes d’opposition. Bref, l’union de la gauche a profité aux communistes. Pour l’élection des maires, qui suivra ce mardi le deuxième tour, la majorité absolue d’entre eux, selon le ministère de l’Intérieur, appartiendra à la majorité.

    24 mars
    Georges Altschuller 18 demande à Georges Pompidou, qu’il a vu aujourd’hui, s’il ne vaudrait pas mieux, pour l’actuelle majorité, avancer les élections législatives à l’automne prochain. Réponse de Pompidou, en bon Auvergnat : « Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras. » Autrement dit : il dispose aujourd’hui d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale ; il n’a pas envie de précipiter les choses sans être sûr que les résultats soient aussi favorables. Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras : c’est le style Pompidou.

    Quelques phrases encore : Jacques Chaban-Delmas cherche à entrer dans la deuxième phase de l’ouverture : il s’agit de faire leur place à Jean Lecanuet et aux siens dans la majorité. Chirac (et donc sans doute Pierre Juillet) trouve que c’est stupide. Car de deux choses l’une : ou ils ne représentent rien, et, dans ce cas, pourquoi et pour qui ouvrir, pourquoi faire un geste qui ne rapportera rien à ceux qui le font ? Ou ils représentent quelque chose, et il sera toujours temps, lors des élections, de faire un geste spectaculaire.

    26 mars
    Remous formidable dans la majorité depuis mardi, c’est-à-dire depuis trois jours, entre giscardiens et UDR. Point de départ : le communiqué de Michel Poniatowski annonçant, après les municipales, que les Indépendants formeront un