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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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autre version du tête-à-tête entre Pompidou et Chaban, le vendredi 12 mai : « C’est d’accord, je pars, aurait dit Chaban à Pompidou, mais empêchez que Chirac, Juillet, Tomasini et Baudouin me tirent dans les pattes ! – Vous avez raison, aurait dit Pompidou, je coupe court aux rumeurs qui courent sur vous. »
    En attendant, Chaban continue donc à lutter pied à pied contre sa propre majorité. Il rencontre les 250 députés des trois groupes de la majorité salle Colbert, le mardi 9 mai dans l’après-midi, et il tente de retourner la situation :
    « Au fond, leur dit-il sans craindre de s’opposer à eux frontalement, que me reprochez-vous ? De manquer d’autorité ? Les gauchistes sont emprisonnés, il n’y a pas de grandes grèves qui empêchent le pays de tourner. Quant à Gérard Nicoud 19 , dont vous me reprochez l’emprisonnement, il faut savoir ce que vous voulez : vous avez voté une loi anticasseurs, et tout le monde est égal devant la loi. Ne vous méprenez pas, a-t-il insisté, je suis une main de fer dans un gant de velours... »
    Il termine à sa façon : « La France est un havre de paix grâce à l’action de son gouvernement. Bon Dieu de bon sang, éclate-t-il, pensez à la France ! »
    Cette sortie calme un moment les parlementaires. Bientôt reviennent dans la discussion les noms de Philippe Dechartre et de Rives-Henry, on évoque également l’amnistie de Gérard Nicoud, que les giscardiens hésitent à voter.
    À l’occasion de cette réunion salle Colbert, Chaban a montré qu’il avait encore du tonus, mais qu’il lui est difficile de se faire entendre par une majorité qui, en principe, le soutient. On notera que, pour la première fois, selon pas mal de participants à cette séance, le président de la République a été accusé d’immobilisme.

    Pour ce qui est des giscardiens, Fernand Icart, député républicain indépendant des Alpes-Maritimes, me confie qu’il ne comprend rien au jeu de Poniatowski. Il ne savait notamment pas pourquoi les giscardiens voteraient l’amnistie. « J’ai l’impression, me dit-il, que Poniatowski déborde souvent Giscard. En l’occurrence, Giscard m’avait dit en privé qu’il était hostile au principe même de l’amnistie,parce qu’à ses yeux les amnisties collectives aboutissent à innocenter n’importe qui. Il avait dit cela aussi aux parlementaires giscardiens. Or, salle Colbert, il est resté muet... Tout cela, poursuit Icart, n’est pas gai. Mourir pour Nicoud, pour la bande de petites crapules qui l’entourent, non merci ! » Inutile de dire qu’il est l’élu, dans la région niçoise, de la montagne. Pas beaucoup de petits commerçants dans son électorat !

    Denis Baudouin, que je vois le lendemain, confirme le tête-à-tête Pompidou-Chaban du vendredi 12 mai. Le président aurait dit – c’est la troisième version qu’on me donne – : « Il faut que les choses changent et bougent, vous êtes le Premier ministre, agissez ! – Empêchez Chirac, Tomasini et Juillet de me nuire, aurait rétorqué Chaban. – Certes, aurait acquiescé Pompidou, il faut faire cesser les bruits et les rumeurs. Il faut que l’on cesse de gloser. Mais, aurait-il ajouté, compte tenu de ma fonction, je ne me lierai pas les mains. »
    Sous-entendu : mon soutien ne vous est pas indéfiniment acquis.
    Sur le procès en immobilisme qui commence à monter contre Pompidou, Baudouin me répond que la patience est dans la nature du président. À un récent Conseil des ministres, il aurait cité la phrase de Kafka : « L’impatience est le pire des péchés capitaux. »
    « Pour lui, résume Baudouin, la connaissance est nécessaire à l’action. Il lui faut toujours une période d’incubation avant de prendre une décision. Il est davantage Turenne que Condé. »
    En effet.

    Bref, à la suite de tout cela, au Conseil des ministres du 17 mai, le Premier ministre est autorisé, « s’il le juge utile », à réclamer un vote de confiance à l’Assemblée. En réalité, le Président pense être le seul habilité par la Constitution à accorder sa confiance à un Premier ministre. Les parlementaires se contentent d’approuver les orientations du programme gouvernemental. Pompidou n’est donc pas enthousiaste à l’idée que ce débat et ce vote de confiance demandés par le Premier ministre aient lieu. Pour Chaban, en revanche, cette approbation est aujourd’hui nécessaire afin de

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