Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
toute façon, il a conquis ses galons d’élu politique.
Je l’avais senti porte de Versailles, et plus encore à Nevers, il y a une vraie ambition chez Pompidou, un vrai bonheur à se mesurer aux grands leaders de la gauche, et aussi quelque chose de volontaire, d’autoritaire chez cet homme, qui explique que le général de Gaulle l’ait appelé à Matignon voilà déjà près de cinq ans. Cinq ans où il s’est affirmé, certes à Matignon, mais sans s’imposer vraiment parmi les élus, qui le trouvaient, jusqu’à aujourd’hui, moins politique qu’eux. Il leur a démontré le contraire, et c’est ce qui explique, avant tout, le bonheur dont il faisait étalage, hier soir, à l’hôtel Matignon.
6 mars
Lever aux aurores pour prendre le train avec François Mitterrand. Il est particulièrement peu bavard, ce matin. Moi aussi, abrutie par ma nuit trop brève. Mitterrand se met dans un coin du compartiment, près de la fenêtre. Il a déjà toute la presse et entreprend de cocher, circonscription par circonscription, la liste des « cadeaux » qu’il compte demander aux communistes, c’est-à-dire la liste des désistements qu’il entend obtenir en faveur de candidats de la gauche non communiste arrivés après le communiste au premier tour.
Lorsque le train arrive à Paris, une heure et demie plus tard, il a dans sa poche la liste de ceux qu’il espère sauver pour le second tour. Une quinzaine de noms à peu près, dont il va tout à l’heure plaider la cause auprès des communistes.
J’ai l’impression, à le voir analyser les résultats, qu’il connaît la carte électorale par cœur. Lorsque je lui pose la question, profitant d’un instant où il déchausse ses lunettes, il me répond avec placidité que, oui, il peut tenir tête aux spécialistes de science politique, et qu’il s’est assez promené en France pour être compétitif, de ce point de vue, avec les meilleurs experts des partis.
Il ne me semble pas malheureux d’apprendre que Guy Mollet arrive derrière l’UNR dans le Pas-de-Calais, tout comme Pierre Mendès France dans l’Isère. Autre résultat qui le fait réfléchir, celui de Maurice Faure qui s’est effondré à Cahors, pour n’avoir pas voulu suivre la FGDS et se rapprocher des communistes, sous les coups du jeune loup, Jean-Pierre Dannaud, un des mousquetaires pompidoliens qui avaient juré, en décembre dernier, de faire tomber les citadelles de gauche au sud de la Loire.
Jacques Chirac est bien placé, tandis que l’alpiniste Pierre Mazeaud n’a pas réussi son bivouac à Limoges. Il est le plus drôle, le plus sympathique de tous, mais son genre de vie n’a pas plu aux habitants de Limoges 5 .
8 mars
Donc, rencontre, au siège de la fédération, conformément à l’accord conclu le 20 décembre, dès lundi 6 dans l’après midi, entre les délégations communistes et socialiste pour la négociation des « cadeaux » faits par les communistes, pour la première fois dans leur histoire, à quelques socialistes arrivés avant eux au premier tour. Atmosphère grave, parce que, après tout, la majorité sortante a beaucoup mieux supporté le choc électoral que Mitterrand et Waldeck le pensaient. Et le Parti communiste aussi. Ce qui n’a pas empêchéMitterrand de dire à ses troupes, le lundi, qu’il trouvait que le score de la Fédération était très « prometteur ».
Les délégations s’enferment dans la grande salle, tandis que les observateurs venus nombreux sont parqués dans les salles voisines, avec les secrétaires, les assistants, tous les salariés ou bénévoles de la Fédération de la gauche. À un moment, tandis que rien ne filtre des pourparlers en cours, sinon que Mitterrand a proposé une vingtaine de cas à l’attention des communistes, le téléphone près de moi sonne. Je décroche machinalement. Un homme énervé demande un négociateur. Je dis que précisément, tous sont dans la pièce à côté. « Justement, me dit mon interlocuteur, c’est pour cela que j’appelle ! » Il décline son identité, il s’agit d’un candidat niçois, Paul Cléricy, qui, distancé par les communistes, voudrait bien être dans le lot des « cadeaux » demandés par Mitterrand. Je lui avoue mon incompétence et raccroche. Après y avoir réfléchi quelques minutes, j’écris le nom de Cléricy, sa circonscription et donne le papier à Laurence Soudet, qui le passe à la délégation.
Lorsque la réunion finit, un bref
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