Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
occasions encore, c’est qu’il a été l’un des plus farouches partisans de cette réunion des partis européens, qu’aujourd’hui il est favorable, comme responsable de la politique extérieure du PCF, à une organisation parallèle des partis européens, qui doivent tous faire face à d’autres problèmes que les partis de l’Est. Il a passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d’énergie à organiser cette conférence de Berlin, après celle de Bruxelles.
Lorsque Marchais parle avec une vulgarité inouïe de son slip, Kanapa manque de défaillir. J’entends, puisque je suis tout près de lui, une sorte de soupir sortir de ses lèvres : tant de soin apporté à la tenue d’une conférence internationale, et se dire que les radios françaises n’en retiendront que la phrase sur le slip ! L’incrédulité, la fureur presque se lisent sur son visage allongé !
Le plus étonnant est que cette phrase n’arrivera jamais jusqu’à Paris. Un cafouillage technique, me dit Kanapa, qui respire. Je ne saurai sans doute jamais le fin mot de l’histoire.
13 octobre
Rencontre de Chaban avec la presse. « Ma mission, dit-il, c’est le service des autres ; ma vocation, servir l’État... » Baratin classique !
Il est plus intéressant, historiquement, quand il parle de sa vie, et d’abord de la guerre, « le premier choc de mon existence, lorsque j’ai vu le premier uniforme allemand dans Paris ; à partir de ce moment, ma vie a changé de signification. J’étais au service de la France, je me suis mis au service des Français ».
Il n’a rien oublié du combat qui l’a opposé à Giscard – et à Chirac. Mais, ainsi qu’il le souligne, il a ses « élégances », et il faut, pour comprendre ce qu’il veut dire par là, décrypter les choses. Lorsqu’il dit : « Je suis toujours prêt à la mort, je pense toujours qu’il y aura un moment où les uns et les autres auront des comptes à rendre », il ne faut pas être grand clerc pour imaginer qui aura des comptes à rendre. Lorsqu’il dit : « Quels que soient les traverses, les échecs, finalement, je suis un homme heureux ! Inacceptable, un homme heureux ; cela explique l’envie, la jalousie de tous ceux qui pensent :“Ce salaud-là, il aura été utile aux autres, ah, le cochon !” » – on mesure sa rancœur.
Pourtant il n’a renoncé à rien : « L’avenir n’est à personne, pas plus à moi qu’à quiconque. Mais on verra. Je crois avoir prouvé que je savais gouverner avec succès. Je suis une carte dans le jeu de la France. J’ai soixante ans, je serai peut-être mort dans une heure d’une crise cardiaque, ou dans deux ans d’un cancer. Mais je peux aussi vivre, et alors, tant que je serai vivant, aussi avide d’action et aussi ambitieux, je serai là, disant en chaque circonstance ce que je crois devoir être dit. »
Curieux, cet homme-là. Il y a en lui, en cet instant, quelque chose de très fort. Et, en même temps, il est à la limite de la grandiloquence. Comment était-il lorsqu’il était jeune général de la Libération ?
Quelqu’un l’interroge malignement : « Quel gaulliste a dit : “Si Jacques Chirac n’était pas Premier ministre, on hésiterait à se reconnaître dans cette majorité” ? » Chaban n’élude pas la réponse : « Michel Debré a ainsi exprimé une idée juste. Jusqu’à présent, je n’ai pas de certitude. Si j’en avais une, je le dirais. Pour ce qu’a dit Michel Debré, je ne crois pas que c’était une boutade. »
14 octobre
Paul Guilbert 21 , qui connaît Chirac depuis Sciences-Po et qui est l’un des seuls journalistes à le tutoyer, a assisté au dernier comité central de l’UDR, samedi et dimanche ; il a trouvé à cette occasion que Chirac était revenu au socialisme de sa jeunesse. Débarrassé, ajoute-t-il, de l’influence de Juillet. Il a parlé de participation, d’impôt sur les plus-values, de resserrement de l’éventail des salaires. Je ne sais pas si c’est sincère, mais je sais que cela sent bougrement la tactique : doubler les RI sur leur gauche !
À vrai dire, la bagarre entre l’UDR et les Républicains indépendants est aujourd’hui évidente. Selon Paul, le conflit porte d’abord sur les jeunes : les RI réussissent leur implantation dans la jeunesse avec les clubs et « Génération sociale et libérale ». Chirac a dit à Paul Guilbert, l’autre jour : « J’ai l’air d’un con : en
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