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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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aventures sentimentales ? De trop compter sur sa facilité et son intelligence ? Souffre-t-il de manquer de volonté, de caractère, comme disent ceux qui ne l’aiment pas ? Ou d’être trop sceptique et si peu convaincu ? Souffre-t-il de son éloquence, fameuse, mais aujourd’hui dépassée, et de son apparence ? Ou, au contraire, de ce qui fait sa profondeur, sa dimension : l’amour de la vie ?
    XXII e  congrès du Parti communiste au palais des sports de Saint-Ouen, sur l’île Saint-Denis. Au mur, derrière Georges Marchais, naturellement à la tribune, un mot d’ordre placardé sur une énorme banderole : « Une voie démocratique au socialisme, un socialisme pour la France ! »
    À peine ce congrès a-t-il l’air d’être celui d’un parti communiste. À droite de la tribune, une seule faucille, un seul marteau, tout petits, bien modestes. Partout dans la salle, les drapeaux rouges sont recouverts de drapeaux tricolores. Les tables des congressistes sont tendues de jaune et de gris, aux murs les draperies sont beiges. Le socialisme aux couleurs de la France est multicolore, il n’est pas rouge : c’est cela, d’abord, qui saute aux yeux lorsqu’on pénètre dans la salle.
    Aragon est à la tribune avec Paul Laurent, René Piquet et beaucoup d’autres qui se succèdent pendant ces trois jours. Trois jours capitaux puisque le Parti communiste, pour la première fois, abandonne un de ses dogmes essentiels, qui d’ailleurs ne veut plus rien dire depuis longtemps en France et même en Russie soviétique : la dictature du prolétariat.
    Tout le congrès se déroule autour de cet abandon que Georges Marchais a préalablement annoncé dans une émission de télévision. Même si le secrétaire général du PC se fait ovationner lorsqu’il parle de la voie démocratique pour aller « vers un socialisme aux couleurs de la France », toutes les interventions me semblent se borner à minimiser le sens de ce pan de doctrine inutile dont le parti a jugé nécessaire de se débarrasser depuis quelques semaines.
    Dans les arrière-salles du palais des sports de Saint-Ouen, partout, à la buvette, au restaurant, mais aussi à la tribune, il n’est donc question que de dictature du prolétariat.
    Gilles Martinet, invité socialiste à ce XXII e  congrès, relativise la portée de cette rupture avec le dogme officiel : les communistes ont certes renoncé à la dictature du prolétariat, mais pas à leur hégémonieau sein de la classe ouvrière. Et ils n’ont rien changé à la définition de la classe ouvrière.
    Je rencontre Laurent Salini, éditorialiste de L’Humanité , au bureau de presse du congrès. Il se défend par avance de ce que le PC ait voulu faire un geste en direction du Parti socialiste : « Nous progressons par bonds, me dit-il, mais, en réalité, notre évolution a commencé il y a vingt-cinq ans. Mitterrand et les socialistes n’y sont pour rien ! »
    De toute façon, il paraît que L’Humanité Dimanche , le supplément hebdomadaire du quotidien communiste, a donné de la dictature du prolétariat une définition fantaisiste : c’est dire à quel point son abandon est bouleversant !
    Je croise Gustave Ansard 3 à la buvette. Il me confie qu’il y a eu débat dans sa fédération – et un débat animé, me précise-t-il – entre ceux qui pensaient que la Révolution serait peu ou mal défendue si on abandonnait la dictature du prolétariat, et ceux qui ne pensaient pas que cela changerait grand-chose à la combativité du Parti communiste. Certains exprimaient la crainte qu’il s’agisse d’une prise de distances vis-à-vis de la classe ouvrière et de ses luttes.
    Je tombe enfin nez à nez avec le représentant du Parti communiste bulgare, qui, lui, est atterré : « En Bulgarie, me dit-il, nous sommes vraiment inquiets, nous espérons qu’il s’agit seulement d’une évolution tactique ! »
    Je lui demande si les Russes nourrissent la même inquiétude. « En Russie, me dit-il, ils sont encore plus inquiets que nous ! »
    Je sors de ces trois journées en ayant l’impression d’avoir vécu là dans un autre monde. Les communistes ont tout faux : aux yeux des vieux communistes religieux, Georges Marchais brade les dogmes pour des raisons tactiques et conjoncturelles ; pour ceux qui, à gauche, considèrent depuis longtemps que la dictature du prolétariat n’a aucun sens dans le monde d’aujourd’hui – et n’en avait d’ailleurs pas

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