Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
davantage dans celui d’hier –, son abandon n’a aucune signification.
Les journalistes, dont je suis, traduiront, pour faire simple, que l’abandon de la dictature du prolétariat a été offert à Mitterrand comme un apport à la corbeille de la mariée.
Un (bon) mot d’Alexandre Sanguinetti, le 10 février : « Cette Europe-là, celle que veut faire Giscard, ce ne sont pas les États-Unis d’Europe, c’est l’Europe des États-Unis ! »
11 février
Guichard, que je vois hier, me raconte qu’il trouve Chirac bizarre, en ce qui concerne l’Europe. Il avait l’impression, au début, que Chirac collerait à Giscard sur son projet européen. Mercredi dernier, au bureau exécutif, il l’a trouvé particulièrement évasif sur le sujet. Disant notamment, d’un ton ennuyé : « Avant de se déterminer, il faut tout de même connaître la position du gouvernement ! » Alors Olivier Guichard a éclaté : « Écoutez, c’est tout de même extraordinaire, c’est vous le chef du gouvernement et vous nous demandez d’attendre de connaître votre propre position ! »
Jacques Chirac est parti furieux.
Sur le fond des choses, la réaction des gaullistes a été plus beaucoup plus hostile au projet que prévu. Tout le monde, au bureau exécutif, s’est trouvé d’accord pour dénoncer le plan Tindemans ; tout le monde est contre l’Europe supranationale. « Ma position, ajoute Guichard, était de loin la plus modérée ! »
Je déjeune avec Michel Debré, qui ne cache pas son amertume. C’est la première fois que la France conjugue un déficit budgétaire, un déficit de la Sécurité sociale et un déficit du commerce extérieur. Il trouve Giscard fragile, le gouvernement minable.
« Avant, me dit-il, tous les hommes politiques avaient un immense parapluie qui les protégeait : de Gaulle. Puis ils ont eu une ombrelle : Georges Pompidou. Et maintenant ils n’ont plus rien. Le ministre des Finances, par exemple, ne protège pas plus Giscard que celui-ci ne le protège ! »
Il ne critique jamais Chirac – sauf lorsqu’il parle du gouvernement dans son ensemble, sans évoquer telle ou telle individualité. Mais toujours Giscard. C’est surtout son projet européen qu’il condamne, mais aussi tout ce qui l’entoure. La faiblesse, l’inexistence de Sauvagnargues, notamment.
18 février
Charles-Noël Hardy 4 est chargé chez Giscard du suivi des élections cantonales qui vont avoir lieu le mois prochain. Il me décrit une majorité en proie à de graves incertitudes, menacée d’être déchirée par des querelles internes de bon ou de mauvais voisinage. « Les rapports des préfets, me signale-t-il, disent la situation telle qu’elle est : ils font état d’une poussée de la gauche », laquelle est assez naturelle à son sens dans la mesure où « les candidats sortant ont été élus en 1970 en pleine déconfiture de la gauche... Cette progression, m’assure-t-il, n’est pas du tout vertigineuse : la gauche va gagner 160 sièges de conseillers généraux sur 1799 cantons soumis à réélection, ce qui n’est pas le bout du monde ! ».
Il évoquait en début de conversation une majorité inquiète. Il rectifie le tir. Il ne parlait que des primaires : Ponia souhaite les limiter au minimum à ce stade, celui des cantonales, sauf dans les cas où le candidat UDR est mauvais et où, en même temps, le péril à gauche est important. Ponia ne juge pas que l’offensive des républicains indépendants soit possible contre l’UDR à l’occasion de ces cantonales. Il a plutôt envie, selon Hardy, d’attirer les candidats de la droite modérée – ceux qu’on appelle, au ministère de l’Intérieur, au moment du dépouillement des bulletins, les « div. mod. fav. » – en leur disant benoîtement : « Venez chez nous, giscardisez-vous ! »
Bref, ce Hardy-là est optimiste, c’est peut-être son nom qui veut cela : « La majorité s’en tirera bien, m’assure-t-il, car la Confédération des indépendants va gagner une trentaine de sièges. »
Après lui, je rencontre Michel Durafour 5 . Il n’est pas inquiet pour les cantonales, jugeant qu’elles seront bien sûr politisées, mais qu’on ne pourra néanmoins en tirer de conclusions. Il pense pourtant – et le dit – que les socialistes ont occupé le terrain jusqu’à maintenant, et qu’il est nécessaire que la majorité reprenne l’initiative. La faute à qui ? Au gouvernement.
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