Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Labbé a réagi par une virulente diatribe contre Chinaud.
En sortant, Jaques Chirac a dit à ses proches que jamais il n’avait vu cela, et que d’ailleurs il n’était pas disposé à l’accepter.
Autre incident qui a secoué la majorité : à l’occasion d’un déjeuner de presse, Michel Poniatowski a dit aux journalistes que, coordination ou pas, cela ne l’empêcherait pas de s’entendre directement avec Jean Lecanuet.
Immédiatement, dépêche de l’AFP, rumeurs dans Paris, demande de réaction de Matignon : Chirac l’apprend.
Embêté, Ponia a appelé Marie-France Garaud pour lui dire naturellement qu’il n’avait jamais prononcé de tels propos.
Chirac, me raconte Maffert, a accusé le coup. Il anime chaque semaine depuis le début de l’année une réunion des ministres leaders de la majorité : Ponia, Lecanuet, Fourcade et Durafour. Il a décidé le jour même d’interrompre ce cérémonial devenu inutile : il n’y aura plus de concertation à cinq à Matignon.
Maffert me dit également que Chirac se sent dans une seringue. Il ne pouvait pas se déclarer contre le projet de loi sur les plus-values, c’était se couper de Giscard. Il ne pouvait pas non plus recommander aux siens un vote favorable : c’était se couper de l’UDR. Il s’en est donc tiré au mieux. En espérant – ce sont les termes employés par Guéna – « le moins d’indiscipline possible ».
Dimanche, Jacques Chirac doit se rendre à Brégançon, où le président de la République lui a fixé rendez-vous, dans le ferme espoir de se voir confirmer son rôle de « coordonnateur » par Giscard. Publiquement, j’entends. Ma conviction est que cela ne changera rien : en tête à tête, Giscard lâchera et, quelques jours plus tard, la question se posera de nouveau.
Bref, la tension a sans doute atteint son degré le plus élevé. Attendons dimanche.
À noter que Chirac annule une émission de télévision qui était programmée pour le 10 juin, tandis que VGE en annonce une pour le 16, avec Jacques Chancel.
8 juin
Françoise Giroud passe à L’Express avant le déjeuner. Par Valérie-Anne Giscard d’Estaing 29 , qui est venue dîner chez elle à Antibes, dimanche soir, elle a des renseignements sur ce qui s’est passé le dernier week-end à Bregançon. Elle fait état d’un climat très désagréable pour Chirac. Où tout a été fait pour le déstabiliser. Giscard lui a demandé avec ironie, dès son arrivée, sur le mode badin : « Combien de micros croyez-vous que M me Garaud ait fait poser dans le jardin ? »
Sans compter que, pendant le dîner, Giscard a fait quelques allusions perfides aux relations entretenues par Chirac avec A.F., le mari d’une journaliste qu’il connaît bien. Du dernier mauvais goût dans un dîner familial...
Je déjeune avec Hervé Bassot et Gérard Ducray près de la rue de la Bienfaisance, chez les giscardiens. On n’imagine pas les griefs qu’ils ont accumulés contre Chirac. Ils persistent à ne pas comprendre pourquoi, en 1974, Giscard n’a pas choisi de casser purement et simplement l’UDR. « Il a perdu du temps, me disent-ils, il n’est jamais trop tard pour bien faire. »
La réalité des choses, si l’on entre dans leur raisonnement, c’est que, paraît-il, partout en province les députés UDR alimentent une campagne incessante contre Giscard. C’est devenu à leurs yeux un vrai danger : il est impossible de laisser cette campagne se développer.
Quant à Chirac, il peut « encore servir » (ce sont toujours Bassot et Ducray qui parlent). Autant lui laisser faire ce qui peut être fait du côté de l’UDR : il y a encore des couleuvres à lui faire avaler !
Des fois que je n’aie pas compris, ils insistent : « Il faut que l’UDR boive le calice jusqu’à la lie ! »
Selon eux (« Et Giscard, dit Bassot, je le connais par cœur ! »), la décision de celui-ci est déjà prise : il veut se débarrasser de Chirac. Il la rendra publique à son heure, quand il le jugera bon.
8 juin (suite)
Reprise du débat sur les plus-values : Fourcade s’emploie à répondre aux arguments qui lui ont été opposés depuis plusieurs jours. Il est ouvert à des amendements, encore plus à « un certain nombre d’améliorations et d’adaptations », et plaide la justice sociale et fiscale pour tous. La dédramatisation, voilà ce qu’il joue.
La motion de renvoi en commission, demandée par une fraction de l’UDR, mais
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