Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
condamnée par le gouvernement et le président de la commission des finances de l’Assemblée, Fernand Icart, est repoussée. De même que l’amendement de Bonhomme (voir plus haut). Quant à l’amendement Neuwirth-Bignon 30 , il est, comble de l’absurde, réservé... jusqu’à demain !
Je vois Edgar Faure à l’interruption de séance qui suit le vote. Je lui dis : « Président, je n’y comprends rien ! – Moi non plus ! » me répond-il.
En réalité, c’est Chirac qui lui a demandé, à 19 heures, de le débarrasser de l’amendement Bignon. Je ne comprends rien, en effet, au jeu d’Edgar : il passe son temps à susciter des amendements – ce qui est le cas de l’amendement Bignon, qu’il a quasiment rédigé lui-même – et à les désamorcer sitôt après, dès que Chirac le lui demande, pour calmer le jeu.
Sait-il ce qui s’est passé à Brégançon ? « C’est un coup d’épée dans l’eau, me dit-il. Giscard et Chirac n’ont parlé de rien, ne sont tombés d’accord sur rien. Dans quelques jours, la rencontre de Brégançon apparaîtra comme une bouffonnerie. »
D’après lui, la loi finira par être votée. Jacques Chirac ne démissionnera pas pour cela. En revanche, Edgar ne me le cache pas : on commence à parler d’un retrait de Chirac en juillet. Il paraît qu’hier, à l’Élysée, on a évoqué la possibilité d’un remaniement : il s’agirait d’un gouvernement limité à quinze membres, sans Chirac.
Si Edgar Faure le sait, Chirac doit le savoir aussi !
10 juin
Je reviens sur la chronologie de la semaine précédente. Comme d’habitude, les récits que me font les uns et les autres divergent. J’essaie d’y mettre de l’ordre, mais, comme chacun ne voit midi qu’à sa porte et voudrait que j’en fasse autant, c’est difficile. Au demeurant, c’est moins ce qu’ils me racontent que l’atmosphère générale de la majorité qui est intéressante. Autant l’écrire tout de suite, il me semble qu’elle va très mal.
Commençons par le dimanche de Brégançon. « Un coup d’épée dans l’eau », selon Edgar Faure. Atmosphère désagréable, dit Françoise Giroud. Je ne sais pas encore dans le détail comment cela s’est passé : la réalité, c’est qu’il n’y a pas eu la moindre déclaration de Giscard en faveur de son Premier ministre après cette rencontre méridionale.
Mardi, Chirac se rend au bureau du groupe UDR. Contrairement à ce que me disent la plupart des participants, sauf un, il prend la parole. Il dit qu’il n’a pas le pouvoir de coordonner la majorité, qui est d’ailleurs « incoordonnable ». Il paraît amer et désabusé. Ce qui ne l’empêche pas de convoquer à Matignon, en fin d’après-midi, les opposants à la loi sur les plus-values.
Dans l’après-midi, le groupe UDR est réuni de 14 h 30 à 16 heures, juste avant la reprise du débat et sans Chirac. Olivier Guichard en sort en me disant : « On ne sait pas où on va, mais on y va tout droit. » Il ajoute : « Nous allons vers un compromis merdeux ! »
Un peu plus tard, les trois présidents des groupes de la majorité sont reçus par Fourcade. Fernand Icart, qui assiste à l’entrevue comme président de la commission des finances, me rapporte la scène : « Fourcade était dans l’inconnu, comme la plupart d’entre nous, de ce qui s’est passé à Brégançon. Il n’a pas du tout évoqué les problèmes de fond, mais les problèmes de procédure. La balle étant dans le camp de l’UDR, nous avons circonscrit les difficultés ; elles sont au nombre de deux : l’amendement Bonhomme et l’amendement Bignon. Pour que tout rentre dans l’ordre et que la loi, modifiée, amendée, améliorée, tout ce qu’on voudra, passe, il faut que l’UDR retire ces deux amendements.
« J’ai trouvé, dit Icart, que les représentants de l’UDR étaient saisis de frénésie, par moments. Claude Labbé, notamment. Il a dit à Fourcade, comme un avertissement : “Je ne réponds de rien.” »
Du coup, tout le monde s’est séparé sur une incertitude majeure et une inquiétude qui ne l’est pas moins.
Une seule chose est certaine : Chirac n’a pas remis les pieds à l’Assemblée nationale dans l’après-midi. Il n’est pas non plus venu le soir, quand l’amendement Bignon a failli passer et quand il a obligé Edgar à demander in extremis sa réserve.
« Aujourd’hui, m’a confié Edgar mardi soir, il n’y a pas
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