Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
d’eux. »
Elle me raconte que, après les propos gratinés sur la coordination et Chirac tenus par Ponia au cours du déjeuner de presse avec Jean-François Kahn, Alain Duhamel et Michel Bassi, dont Serge Maffert m’a déjà parlé, Ponia a appelé Marie-France pour minimiser les choses et dire que les journalistes avaient exagéré.
« Vous êtes plus giscardien que moi, lui a-t-elle dit, mais je suis plus présidentialiste que vous. » Elle lui a démontré dans la foulée que, lorsqu’on est favorable à un président, on doit faire l’ouverture autour de lui et ne pas pratiquer l’oukase et l’exclusion.
Elle me dit tout net que, au point où en sont les choses, entre giscardiens et chiraquiens il existe une ambiguïté fondamentale sur le rôle du Premier ministre vis-à-vis du président de la République et sur les relations entre la majorité et le président.
« Il y a deux manières de comprendre les choses : Le président est le roi, le Premier ministre est vis-à-vis de lui de la loyauté la plus totale. Il conduit la majorité parlementaire et, en particulier, conduit les batailles électorales non présidentielles de façon à ce que le président soit libre à tout moment de prendre ses distances ou pas. Ça l’engage moins et cela lui laisse plus de liberté. C’est notre conception ; elle est peut-être périmée, mais c’est la nôtre.
« Ou bien, 2 e hypothèse : la majorité choisie par le président de la République se bat en son nom. Le président la dirige personnellement. Le Premier ministre n’a plus alors qu’un rôle technique. Dans ce cas, je n’arrive pas à comprendre que le président de la République ne veuille pas s’engager lui-même dans la campagne législative et pourquoi il demande à Chirac de le faire. »
Bref, elle est désormais très hostile à la façon dont Giscard piège Chirac. Quelle conséquence en tire-t-elle ? Réponse :
« Rester ou partir, non, le problème ne se pose pas ainsi. Comment aider le président à mieux passer les échéances politiques, essayer de comprendre comment il veut jouer, et savoir si nous sommes (elle dit “nous”, pas “Chirac”) le mieux à même de l’aider. Peut-être ne sommes-nous pas les meilleurs ? »
Aujourd’hui encore, Olivier Guichard intervient auprès du groupe UDR pour l’exhorter à voter. Sans doute n’a-t-il pas renoncé à devenir Premier ministre et veut-il montrer qu’il peut réussir là où Chiracest peut-être en train d’échouer. Il donne néanmoins, ce faisant, un sérieux coup de main à Chirac en persuadant les parlementaires UDR qu’ils sont cette fois allés trop loin.
La semaine se termine par cette scène que me raconte Françoise Giroud. Lors d’une réunion interministérielle sur la sécheresse, Fourcade a résisté à Chirac en disant : « Je ne vous donnerai pas d’argent, le président me l’a défendu ! »
Chirac insiste : « C’est devenu un problème politique !
– Quand le chef de l’État aura changé d’avis, il n’aura qu’à me le faire savoir ! »
Chirac, exaspéré, rompt l’entretien.
16 juin
L’UDR rue dans les brancarts. C’est ce que me dit Yves Guéna ce matin : Labbé et quelques autres ne se soumettent pas aux consignes de calme diffusées par la direction. Leur argument : une fois que la loi sur les plus-values sera adoptée, Giscard va se débarrasser de l’UDR. « Évitons d’être cocus ! » – c’est leur leitmotiv. Il est, mon Dieu, assez efficace.
Yves Guéna a beau leur répondre qu’il ne faudrait pas s’en retourner à la IV e , voire à la III e République, il est loin, m’avoue-t-il, d’être entendu.
Le vaudeville continue donc.
Cette crise est une montagne qui accouche d’une souris. Ce soir, Giscard parle et tout rentre dans l’ordre. Il dit pourtant non à tout ce qu’escomptait l’UDR. Non au remaniement ministériel, que Chirac voulait et sur lequel il avait fait des confidences au Monde . Non aux élections législatives anticipées (avant les municipales, comme l’avait suggéré Pierre Juillet). Non aux parlementaires UDR qui souhaitaient le retrait de la loi sur les plus-values.
À peine adresse-t-il un coup de chapeau hâtif au Premier ministre, qu’il juge « actif et loyal ».
À Matignon, Serge Maffert me dit que Chirac se sent désormais condamné, qu’à son avis il ne passera pas l’été.
Tout à l’heure, donc avant l’allocution de Giscard,
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