Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Pierre Mauroy est venu déjeuner à L’Express . Il ne comprend pas, lui non plus (comme Philippe Grumbach qui se joint à nous), que Giscard ne change pas la loi électorale et ne fasse pas adopter un scrutin à lareprésentation proportionnelle. « Nous serions bien obligés de la voter, dit-il, puisque cette réforme figure dans le programme commun ! » Pour Giscard, ce serait la fin de tous ses soucis : les réformateurs auraient la part belle et il serait dégagé de l’alliance avec l’UDR. Si, au surplus, il anticipait les législatives et repoussait les municipales, il aurait toutes chances de trouver au Parlement sa propre majorité.
Pourtant, ni Mitterrand ni Mauroy ne croient qu’il aura le culot de le faire. Quoi qu’il en soit, Pierre Mauroy ne pense pas que la situation actuelle puisse durer deux ans. François Mitterrand reste, me confie Mauroy, étonné de la stagnation de Giscard dans les sondages. Il ne comprend pas comment il ne parvient pas à mordre davantage sur l’électorat de gauche, étant donné ses positions actuelles.
21 juin
Claude Estier trouve Mitterrand dans un incroyable état de nervosité. À Florence, où Claude l’a accompagné, il n’a pas arrêté de faire des scènes parce qu’il voulait une autre voiture, un autre chauffeur, parce que sa chambre ne donnait pas sur l’Arno, et le reste à l’avenant. Mais Estier lui pardonne tout : « Nous avons visité trois églises, le matin. Et, franchement, visiter des églises florentines avec Mitterrand, c’est un rêve éveillé ! »
22 juin
Débat sur les plus-values, suite et fin.
Charles Bignon, devenu une figure de l’Assemblée nationale depuis qu’il a déposé un amendement, le n o 249, initiative qui ennuie au plus haut point les giscardiens et ravit secrètement ou publiquement l’UDR, ouvre le feu, tout gonflé de sa nouvelle importance.
Quelques minutes avant la reprise de la séance, Jacques Chirac a réuni les trois groupes de la majorité et leur a demandé de voter la loi. Les avis sur ce discours sont du reste partagés. Les uns voient dans la phrase qu’il a prononcée – « Je vous demande de voter ce texte, non pas pour moi, mais pour la majorité » – comme le signe d’un départ prochain. Les autres y voient au contraire le signe qu’il reste à Matignon et tente de récupérer une fois de plus la majorité.
Il a ajouté une phrase qui, elle aussi, suscite l’exégèse : « J’ai eu quelque doute sur ma capacité à faire aboutir le projet. »
Qu’est-ce que cela veut dire ? Chirac, des doutes ? Lui qui n’en a jamais ! Je ne crois pas lui avoir jamais entendu prononcer ce mot-là...
Je passe vite sur la séance : Bignon parle donc. Papon, rapporteur général du Budget, donne un avis défavorable à son amendement ; Fourcade aussi, qui, visiblement, en a marre de ce débat qui bute depuis trois semaines sur l’amendement Bignon.
Après suspension de séance demandée par Gaston Defferre, on vote. L’amendement n o 249 est repoussé par 250 voix contre 207. Certes, une partie de l’UDR a voté avec l’opposition. Ils n’ont cependant pas été assez nombreux pour faire adopter le texte de Bignon.
La loi sur les plus-values sera sans doute adoptée, puisque Bignon était le dernier obstacle, le plus coriace. Vote global demain.
Le soir-même, dîner avec Michel Debré.
Je lui demande quelle mouche a piqué Claude Labbé et s’il est représentatif du député UDR moyen. Debré me répond : « Vous ne savez pas à quel point les gaullistes en ont marre. Marre de la petite phrase sur le général Pétain à Verdun, marre de La Marseillaise et des drapeaux. Marre, surtout, du manque d’autorité de l’État ! »
Il s’exprime avec force et simplicité, usant d’un vocabulaire moins strict que dans ses interventions publiques, avec un débit moins saccadé, heureusement, que celui qu’on lui connaît dans ses interventions radiophoniques ou télévisées. Son jugement sur Giscard est aujourd’hui sans appel.
Je lui parle de la lettre sur la télévision que le président vient d’adresser au Premier ministre. Il attend de la télévision publique davantage de créativité, sans envisager d’augmenter la redevance qui la fait vivre. « Aucune importance, dit Debré, l’important pour lui, c’est d’avoir écrit cette lettre. Peu importe ce qu’elle deviendra dans huit jours. De même que peu importe ce que deviendra la loi sur les
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