Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
plus-values ! »
Son pessimisme est total : l’inflation va reprendre, il suffirait d’une hausse minime du baril de pétrole pour qu’elle soit catastrophique. Le déséquilibre avec l’Allemagne s’accroît de jour en jour. Aucun consensus national n’existe sur la politique des revenus. Au contraire, la hausse des salaires continue, toujours supérieure à la hausse déjà excessive du coût de la vie. Pas de politique internationale, pas de politique économique : « Comment, s’exclame-t-il, peut-on fairereproche à Jean-Pierre Fourcade de n’avoir pas été brillant pendant la discussion de la loi sur les plus-values ? Pas de Premier ministre en séance pendant le débat, pas de Poniatowski, pas de Lecanuet, personne ! Comment voulez-vous qu’il soit au mieux de sa forme ? »
Disparition de la politique industrielle de la France, continue-t-il. Michel d’Ornano a tout bradé, la CII, etc.
À propos du général Méry, qu’il ne trouve pas colossalement intelligent et dont il désapprouve l’alignement sur l’OTAN, il précise que, signe des temps, le général, en publiant un article sur le sujet, n’avait pas jugé bon de mettre au courant de ses initiatives le ministre de la Défense, Yvon Bourges.
Pour finir, il cite cette phrase de Banville, qu’il affirme n’avoir pas lu dans son intégralité : « La France est gouvernée convenablement dix ans par siècle. »
« Alors, conclut-il, la France a été bien gouvernée de 1959 à 1970, et c’est foutu maintenant ! »
Sur ce mot ou presque, il prend congé.
C’est peu de dire qu’il est dans l’opposition.
23 juin
À la demande de Giscard formulée au Conseil des ministres d’hier (avancé d’une journée à cause du départ du président, aujourd’hui, pour l’Angleterre), Chirac a réuni, avant le débat à la Chambre, les trois groupes de la majorité. André Rossi, porte-parole du gouvernement, me raconte qu’à la fin du Conseil, au moment où ils rédigeaient le communiqué final avec eux deux, Giscard aurait expressément fait reproche à Chirac de ne pas s’être assez impliqué dans la bagarre.
Rossi, qui m’avait dit il y a quelques jours que Giscard ne se séparerait pas de Chirac, pense, après la sécheresse de l’échange auquel il a assisté, que les carottes sont cuites. Car il ajoute que, pendant le Conseil même, Giscard a menacé de retirer son texte (c’était avant la séance de l’après-midi à l’Assemblée, qui s’est finalement bien passée pour la majorité) si l’obstruction continuait. Ce qui est apparu comme une nette menace pour le maintien de Chirac à Matignon si Giscard se voyait obligé de passer par là.
Cela n’a pas été le cas, puisque le projet de loi sur les plus-values a été voté aujourd’hui. Finalement, ils n’ont été que 10 députés UDR à voter contre, et 13 à s’abstenir.
Guéna affichait comme objectif que les cas d’indiscipline soient le moins nombreux possible. Chirac y est parvenu.
J’intercepte Chirac avant qu’il ne quitte le Palais-Bourbon. Il revient de bonne grâce sur le discours qu’il a tenu mardi matin au bureau politique de l’UDR, pour minimiser la dégradation des relations avec Giscard : « Je leur ai dit qu’on ne gouvernait pas avec des états d’âme. Qu’il n’y avait pas de détérioration entre le président de la République et le Premier ministre, parce que, si ça commence à aller mal entre eux, le président fiche le Premier ministre à la porte ! »
Sur le reste, il ne me dit que des fariboles qui ne reflètent en rien ce que me confient ses proches. Y compris à propos du remaniement, sur lequel il avoue « avoir des sentiments ». Il les met dans sa poche, ses sentiments : « C’est une affaire de la compétence du président de la République. Il a dit qu’il n’y aurait pas de remaniement en juillet. Il n’y en aura pas, voilà tout ! »
A-t-il envisagé un moment de démissionner ? La réponse fuse : « Un homme politique ne démissionne pas. Ce ne peut être qu’une révocation ! Ceux qui disent qu’il faut partir n’ont pas compris le gaullisme. En politique, rien n’est pire que de lâcher prise. En revanche, si l’on se trouve dans une situation où l’on n’est pas à même d’exercer ses responsabilités, alors on est foutu dehors. »
Les élections anticipées ? « Le président a dit non, point final. »
L’inflation : « Il ne faut pas exagérer. Nous
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