Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
l’actif concours qu’il m’a apporté comme Premier ministre au moment où il s’agissait déjà de faire progresser la démocratie française. »
Ce n’est pas vache, c’est plat.
Serge Maffert me dit également que Jacques Chirac dînerait à l’Élysée fin octobre, après le retour de Giscard de l’île de La Réunion.
Il me confie également que le dernier déjeuner entre Chirac et Lecanuet s’est terminé sur cette phrase de Chirac : « Dites-vous bien que je ne serai pas le perdant de cette affaire. »
Pendant que je suis en train d’écrire ces lignes, Giscard parle deson livre sur TF1. Autour de lui, sur le plateau, des photos qu’il regarde avec intérêt en arrivant : lui avec Anne-Aymone, lui dans l’avion, lui couché dans l’herbe avec son chien. Un brin narcissiques, ces photos. Ce n’est pas pour lui déplaire.
Il a écrit ce livre, dit-il, parce que les Français sont complexes : ils veulent le changement et le redoutent en même temps. Il faut donc leur proposer « un avenir qu’ils puissent aimer ».
Il morigène, au passage, le présentateur de TF1, Roger Gicquel : « Je vous écoute, lui dit-il. Vous avez l’impression que la France est coupée en deux. Cette représentation est fausse : la France est un grand groupe central avec des ailes. Elle n’est pas coupée en deux grands groupes antagonistes. Quand je dis que la France doit être gouvernée au centre, je veux dire qu’elle doit être gouvernée par le centre. »
C’est le cœur de son analyse de la société française. Ce n’est évidemment ni celle de Chirac, ni celle de Mitterrand.
Quel est votre objectif prioritaire ? lui demande-t-on. La réponse de VGE est vague : il fait une phrase alambiquée sur la société française, qui est encore loin d’être une communauté et doit aspirer à le devenir. « Ce n’est pas un diagnostic pessimiste, précise-t-il, c’est un objectif. »
16 octobre
Déjeuner avec Raymond Barre. Autour de lui, le décor de la salle à manger n’a pas changé : toujours les oiseaux de Snyders, face au Premier ministre, et un tableau de Braque (je n’en suis pas sûre) à sa droite. Curieux, ces Premiers ministres qui ne changent pas d’un iota leur cadre. Le seul changement apporté par Barre, c’est son cuisinier. Il a amené à Matignon celui qu’il avait au ministère du Commerce extérieur. Résultat : on mange beaucoup mieux ici que du temps de Chaban.
Je ne l’imaginais pas ainsi, un œil pétillant, un œil sévère, mangeant beaucoup et buvant pas mal, émettant de temps à autre un rire phénoménal qui me sidère. Ressemble-t-il à Pompidou ? Pour l’œil gai, l’œil sévère, oui. Pour le reste ? Je ne sais pas. Je lui trouve l’air professoral, l’esprit attentif et malin, mais sans électoralisme excessif.
Sur le fond, il parle d’abord de l’impôt sur le capital, pour dire qu’il n’en a jamais été partisan. Au surplus, le Parlement auraitproposé des exemptions de toute nature : la résidence principale, la résidence secondaire, les propriétés terriennes, les outils de travail. « Au bout d’un certain temps, dit-il, il ne serait plus resté que les impôts sur les capitaux des sociétés. C’est l’investissement qui aurait été pénalisé. »
Il précise ses trois premiers projets. D’abord, lutter contre les ententes et autres accords illicites, c’est-à-dire assurer une libre concurrence. Ensuite, contrôler strictement les subventions économiques de l’État, c’est-à-dire surveiller l’emploi et la distribution des fonds publics (mais il n’use pas de ces termes). Enfin, assurer une meilleure connaissance des revenus.
« Si j’y parviens, dit-il, cela suffira à mon bonheur. »
« Avez-vous la majorité de votre politique ? » lui demande-t-on. La réponse est nette : « Ce n’est pas mon problème. »
En même temps, cet homme qui affecte de ne pas parler politique est ravi d’avoir gagné, la veille, son débat parlementaire. Ravi d’avoir amené les socialistes à voter contre la vignette moto sous prétexte qu’il ne fallait pas laisser aux communistes le monopole de la jeunesse.
Les Français, les parlementaires, il les juge avec un rien de mépris pas même amusé.
« Les Français sont comme cela, ils n’ont pas encore appliqué la loi sur les plus-values, qu’ils en demandent une autre. Ils ne vont jamais jusqu’au bout des choses. »
Il explique en quelques phrases
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