Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
dit-il, dans le mouvement gaulliste, une tendance bonapartiste ou boulangiste. Elle était fondue dans un rassemblement plus large. Si cette tendance était isolée, ce serait une catastrophe ! »
Jacques Chirac en continuateur de Georges Boulanger 43 ! Historiquement, la comparaison ne tient pas : les situations ne se ressemblent pas, les hommes ne se ressemblent pas non plus. Il reste que c’est la première fois que j’entends, émanant d’un fidèle du général de Gaulle, cette accusation de « boulangisme » proférée contre Chirac. Faut-il qu’il ne l’aime pas !
Guichard dit encore : « Si je n’étais pas au gouvernement en ce moment pour préserver l’essentiel, c’est-à-dire les institutions, je ne serais plus à l’UDR dans trois mois ! »
Il n’est pas davantage tendre pour Giscard : « Ce qui pèche, chez lui, c’est son comportement. J’ai trouvé son livre, Démocratie française , bon. J’avais craint le pire, nous y avons échappé, tant mieux ! »
Je lui demande s’il est possible de parler avec Giscard de ses erreurs de comportement, de ses attitudes exagérément monarchiques, qui font rire ou indignent, c’est selon, ses interlocuteurs. Il me répond carrément : « C’est tout à fait impossible ! Vous pouvez parler de tout à quelqu’un, de ses idées, de ses analyses, mais pas de son comportement. Il ne s’agit pas de lui dire : portez une cravate, non, mais de lui dire : changez ! Or, personne ne change jamais ! »
Pourtant, paradoxalement, dans le cours de la conversation, il convient que Giscard a changé sur bien des choses : sur l’idée d’un gouvernement englobant les socialistes, qu’il semble avoir abandonnée ; sur son engagement personnel dans la campagne des législatives, qui sera sans doute plus important qu’il ne le prétendait il y a encore quelques mois.
Roger Stéphane raconte la conversation qu’il a eue il y a quelques jours avec Michel Debré. Celui-ci lui a dit : « Chirac est un traître-né, il a trahi tout le monde : après Chaban, c’est Giscard ! »
Olivier Guichard laisse tomber, méprisant : « Ah, c’est bien le moins que l’on puisse dire de Jacques Chirac, tout de même ! »
14 octobre
Conférence de presse de François Mitterrand à l’Assemblée nationale, salle Colbert, où s’entassent les journalistes.
Mitterrand enfonce le clou, tour à tour ironique et agressif. Il a cru sentir, après Égletons, « quelque trouble à droite » ; il lui a semblé que Giscard et Chirac n’étaient pas les « meilleurs amis du monde » ! Il récapitule, non sans une certaine gaieté, la crise latente entre le président et son ancien Premier ministre, débouchant sur l’immobilisme :
« Une rencontre à Brégançon. Ça ne donne rien. Jacques Chirac démissionne. On le retient encore. Un mois plus tard, on nomme M. Barre. Il faut ensuite un mois à M. Barre pour proposer un plan. La presse s’impatiente. M. Barre soumet son plan : un ensemble de mesures conjoncturelles, au niveau ou à la hauteur des honnêtes gens qui sont chefs de bureau dans ces ministères ! »
Il prévient : il ne croit pas aux élections anticipées, mais, si elles devaient néanmoins avoir lieu, le PS et la gauche tout entière sont prêts.
On lui parle évidemment de l’impôt sur la fortune. « C’est une proposition de la gauche, convient-il. L’extraordinaire timidité du gouvernement actuel dévoile une conception particulièrement conservatrice au regard de l’économie ! »
Il paraît que Giscard lui a envoyé son livre avec une dédicace. Mitterrand refuse de dire le texte de la dédicace : « J’ai été sensible au geste, dit-il. J’y répondrai avec la même courtoisie. Pour le reste, on verra. »
Même jour. C’est le 10 août que Jacques Chirac, alors démissionnaire, aurait, selon Serge Maffert, rédigé une note sur le redressement de l’économie. Elle énumère onze points. Elle a été transmise, avec le dossier correspondant, par Heilbronner 44 à Francis Gavois 45 au moment de la nomination de Barre. Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé : au moment où le nouveau gouvernement dit que l’ancien n’a rien fait pour lutter contre l’inflation, il n’est pas mauvais de s’abriter derrière une note sans que personne soit en mesure de vérifier sa réalité.
Voici la dédicace que Giscard a faite à Jacques Chirac : « À Jacques Chirac, en souvenir de
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