Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
pourquoi il a exigé d’être à la fois Premier ministre et ministre des Finances : « L’administration, dit-il, je connais. En France, elle n’obéit qu’au ministre des Finances, et encore ! Donc, j’aurais été obligé, pour arriver à ce que je veux, d’envoyer des lettres au ministre des Finances. Quelle inutile perte de temps ! Il valait mieux être à la fois Premier ministre et ministre des Finances ! »
Sur l’Europe, il garde sa sérénité. Contrairement à Michel Debré, il ne voit pas pourquoi l’Assemblée élue au suffrage universel serait forcément constituante. Elle lui semble prévue par le traité de Rome. Cela ne lui pose aucun problème.
Je lui parle du rapport sur le redressement de la France, note de Chirac transmise par Heilbronner à Francis Gavois. Je doutais de son existence même. Je me trompais : elle a bien existé. Raymond Barre me confirme que c’est Gavois, de sa propre initiative, qui a gardé la note par-devers lui, « parce que cela ne se fait pas ». Cetteprécision de Raymond Barre est une merveille du genre ; elle donne raison à tout le monde : à Chirac qui affirme avoir rédigé ce rapport, à Barre et à Giscard qui jurent ne pas l’avoir reçu !
Quelques phrases de Barre sur Chirac, enfin : « J’ai été, dit-il, dans la dernière période, l’un des rares ministres à le traiter comme un Premier ministre. À l’accompagner, à sa demande. On ne me fera jamais dire un mot contre lui. »
À noter cette confidence de Jacques Foccart à J-L G 46 qui me le répète : Giscard est furieux contre Olivier Guichard, car il pensait, paraît-il, qu’il calmerait l’UDR. Il juge aujourd’hui que Guichard a échoué, puisque Chirac a réussi.
À mettre en parallèle avec cette autre confidence : Edgar Faure aurait abandonné Chirac à son sort après une réconciliation avec Giscard. Il viserait désormais (appuyé en cela par Giscard) la présidence de la future Assemblée européenne, et aurait assuré au président de la République qu’il ferait voter par les députés français l’élection de l’Assemblée européenne au suffrage universel. À vérifier, bien entendu !
La vérification me semble faite après la réunion du « Contrat social » que préside Edgar Faure, qui s’est tenue les 15 et 16 octobre en présence de Raymond Barre. Sur l’Assemblée européenne, Edgar propose une sorte de compromis au chef du gouvernement : « Si on fait cet organe, explique-t-il, il faut lui assigner une fonction et une mission. Lui donner une compétence : l’indépendance économique et sociale de l’Europe. C’est une solution acceptable par tout le monde, qui ne devrait pas inquiéter les gaullistes, dont je suis. »
19 octobre
Déjeuner avec Toubon. En fait, il ne se fait pas non plus d’illusions. Il est persuadé, il me le dit, que cela n’ira pas, ainsi brinquebalant, jusqu’aux élections législatives de 1978. Il préférerait, lui, aller à ces élections avec Giscard dans un attelage à trois : Chirac, Giscard et Barre.
Faute de quoi, les trois perdront.
Guichard serait sans doute étonné d’entendre le principal lieutenant de Chirac s’exprimer ainsi : c’est tout le contraire de sa théorie sur Chirac.
26 octobre
Claude Estier me parle une fois de plus des relations entre socialistes et communistes. Il lui semble qu’il règne une grande tension à l’intérieur de la direction du PC. Il établit une différence entre la direction de la CGT, qu’il trouve plus dure, et celle du PC, où, lui semble-t-il, Georges Marchais impose sa volonté, celle de l’union avec les socialistes.
Que la CGT soit plus réticente que le PC, ce n’est pas nouveau. Lorsque, fin juin, juste avant les vacances, il est venu au Parti socialiste, Georges Séguy a commencé par s’emporter parce qu’il a croisé un photographe dans le couloir. « C’est un guet-apens ! » a-t-il fulminé.
Entré en réunion avec Mitterrand, il a entamé un véritable réquisitoire. Il a mis en cause le soutien du PS à l’élection au suffrage universel de la future Assemblée européenne. Mitterrand l’a coupé sèchement : « Ce n’est pas votre domaine, a-t-il dit. Nous n’avons pas à parler avec vous de cela, quel que soit l’impérialisme de la CGT ! »
Séguy se lève alors. René Bull, un secrétaire confédéral plus accommodant, le calme : « Nous sommes là en effet pour parler de questions
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