Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
jour, on annonce aux patrons qu’on va les nationaliser, et, dans l’après-midi, qu’on va faire un impôt sur le capital ? Que l’opposition joue son jeu, c’est normal. Que, dans la majorité, certains le fassent, c’est irresponsable ! »
On a beaucoup parlé, Chirac surtout, de la nécessité d’élections anticipées. Aujourd’hui, pense-t-il qu’il a eu raison de les refuser ? La réponse est ferme : « Je ne le regrette pas un seul instant : si jeles avais anticipées, alors oui, j’aurais été obligé de partir en cas d’échec ! Non, c’était la seule chose à ne pas faire ! On change une majorité faible pour avoir une énorme majorité, mais on ne fait pas le contraire ! »
Cela l’amène tout naturellement à parler de Jacques Chirac. « Il n’y a jamais eu de plan Chirac contre l’inflation, dit-il. Pour une bonne raison : ce n’était pas au moment où il envisageait des élections anticipées qu’il allait se lancer dans une lutte contre l’inflation ! »
Raymond Barrillon 41 s’adresse à lui : « Si je comprends bien, dit-il avec une pointe d’insolence qui déplaît souverainement à Giscard, vous vous accommoderiez d’une défaite aux élections, mais pas si vous l’avez provoquée ? »
Le président le coupe net : « Pas m’accommoder, non. Je ferais face, c’est différent ! »
Pour lui, aujourd’hui, l’UDR n’obéit à rien ni à personne : pas plus à Guichard qu’à Chirac. Et « ceux qui causent si fort se sentiront tout bêtes, le jour où ils auront contre eux, à ces futures élections, un candidat de la majorité présidentielle ».
Cela, croit-il, ils finiront par le comprendre les uns après les autres, et par revenir dans le droit chemin.
Le sophisme de Giscard est là. Il dit : « En cas d’exécutif fort, ceux qui, à l’intérieur de la majorité, se démarquent de l’exécutif sont écrasés. J’ai connu cela en 1962, quand les indépendants – je n’étais alors qu’à mes débuts – se sont fait écraser. »
Certes. Mais en cas d’exécutif fort... Tout est là ! Et il n’y aurait pas de problème, justement, si l’exécutif était fort.
En sortant de l’Élysée, je me rends avec Roger Stéphane à un dîner chez Olivier Guichard. Je demande à Daisy de Galard 42 , sa compagne, comment elle le récupère chaque soir : « En compote ! » me dit-elle. Ça donne une idée de la difficulté d’être au gouvernement sous Giscard, et à l’UDR avec Chirac !
Que va faire Chirac ? Ce doit être la millième fois, depuis qu’il a fait son entrée au gouvernement de Raymond Barre, qu’on pose la question à Olivier Guichard. « C’est simple, explique-t-il patiemment, tout le monde le sait. Il mise sur deux hypothèses qui toutes deux tournent autour de la victoire de la gauche aux prochaineslégislatives. Ou bien la gauche gagne les élections législatives à la date prévue, en 1978. Ou bien Chirac fait exploser la majorité avant cette date.
– Sur quoi ? Sur l’Europe et l’élection du Parlement européen au suffrage universel ?
– Non, sur je ne sais quel texte, je ne sais quel article additionnel en matière de finances, au printemps. Et cela, je ne l’accepterai pas ! »
Je me rends bien compte de l’ampleur de la détestation que ce lieutenant du général de Gaulle ressent, depuis tant d’années, à l’égard de Jacques Chirac. Il n’empêche : qu’est-ce que cela veut dire, qu’il n’acceptera pas ? Que fera-t-il ? Qu’a-t-il en mains pour empêcher Chirac d’agir dans tel ou tel sens ?
Toujours est-il que sa conviction est que, dans le cas où la gauche gagnerait en 1978, Chirac récupérerait la majorité et jouerait son rôle à la présidentielle en 1981.
J’insiste : « Êtes-vous certain de cela ? Excluez-vous totalement qu’il veuille être celui qui gagnera les élections pour Giscard ? »
Olivier Guichard éclate – éclaterait presque – de rire si cela l’amusait encore :
« Si les élections sont gagnées, personne ne pourra croire qu’elles le soient par Jacques Chirac. Elles le seraient par le gouvernement, donc par Raymond Barre. Et c’est Giscard qui en recueillerait le bénéfice, pas Chirac. Non, croyez-moi, Chirac vise la défaite de la majorité, pas sa victoire. »
Sur le rassemblement que Chirac appelle de ses vœux, il est circonspect. Plus que cela même : inquisiteur, plutôt.
« Il y a toujours eu,
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