Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
démission, l’été dernier.
« En juin, raconte-t-il, je l’avais presque convaincu que je devais partir, que je ne le servais plus, que je le desservais plutôt. Nous étions tombés d’accord sur un scénario : il devait dire que je l’avais beaucoup servi dans la phase politique de son action, mais qu’aujourd’hui nous entrions dans une phase économique et qu’il était donc naturel de changer de Premier ministre.
« Il avait accepté, poursuit Chirac, et c’est ainsi que je me suis cru autorisé à dire à la télévision qu’un Premier ministre ne démissionnait pas [il me l’avait dit : voir supra ]. Sur ce, quelques jours plus tard, il me convoque pour me dire de former le prochain gouvernement. Alors là, j’ai vu rouge ! »
Je n’ai aucun moyen de vérifier si ce qu’il me dit est vrai ou pas. Toutefois, le moins qu’on puisse dire est que ses propos sur l’indécision de Giscard, sur sa propre indignation, ont des accents de vérité. Je ne vois pas, au surplus, quel serait son intérêt de revenir sur la rupture de l’année dernière par des déclarations que je ne pourrais utiliser immédiatement sur une antenne ou dans un papier. Comme toujours, heureusement, ce cahier est là !
Je l’interroge sur Raymond Barre. Est-il, lui, le chef de la majorité ? Il rigole franchement : « Le chef de quoi ? De la majorité parlementaire ? Ponia est le chef des giscardiens, il n’y en a pas d’autre. Les centristes et les radicaux ? Ils ont trop de chefs, et d’ailleurs pas assez de députés ! Quant aux députés UDR, c’est moi qui suis leur chef. Non, la majorité n’a pas de chef. »
Il juge que Giscard aurait dû mille fois le récupérer, depuis le mois d’août 1976. Mais il ne dit pas par quels moyens. « Au lieu de cela, rien, pas un mot ! Sur Paris, par exemple, il aurait pu me convoquer, m’en parler. Non, il a voulu jouer au plus fort. »
Je lui demande s’il ne craint pas de se laisser enfermer dans Paris ; il me répond qu’effectivement c’est une de ses craintes, et ce n’est sûrement pas par ambition personnelle qu’il se présente. « Ambition personnelle, pour quoi faire ? me dit-il. Pour être maire de Paris, vous parlez d’une mission ! » Il ne se retirera, m’assure-t-il, sous aucun prétexte, quoi qu’on lui propose et qui que ce soit qui le lui demande. Il s’attend à une réaction de Giscard le lendemain, car il rentre rue de Lille, au siège du RPR, où il va tout à l’heure rendre publique une nouvelle déclaration : il y dira en quelques lignes que, après tout, il s’agit d’élections primaires et que le sort de la démocratie n’est pas en cause.
De fait, quelques heures plus tard, rue de Lille, Chirac fait une déclaration, officielle cette fois. Il y apparaît enchanté par la perspective qu’il vient de se tracer à lui-même, et du tour que vient de prendre l’élection parisienne. Tout en disant qu’il se battra partout où existe un danger de victoire socialo-communiste, il commence par préciser que la gestion de la capitale est essentielle pour Paris et les Parisiens, certes, mais aussi pour la France ; puis il dédramatise la situation conflictuelle de la majorité à Paris :
« Que se passe-t-il à Paris ? interroge-t-il, faussement naïf et en réalité pas mécontent de lui. Les principaux courants vont, au 1 er tour, présenter des candidats au libre choix des électeurs. Au 2 e tour, naturellement, les Parisiens auront à exprimer un choix fondamental entre la liberté et le collectivisme. C’est le jeu naturel. C’est ce qu’on appelle des primaires. À ma connaissance, le président a toujours voulu des primaires ! »
Il prend un ton bonhomme qui fait rire les journalistes présents : « Alors, pourquoi tout ce bruit ? Serait-ce d’aventure parce que je me présente moi-même ? Je ne peux pas l’imaginer sérieusement ! »
Sa dernière phrase, la main sur le cœur : « Je demande en grâcequ’on cesse ces outrances. Dieu merci, nous sommes en démocratie, il appartiendra aux électeurs de juger ! »
26 janvier
La réaction furibonde de Valéry Giscard d’Estaing ne s’est pas fait attendre. Elle est rendue publique à la fin du Conseil des ministres. Il y est dit que Paris a besoin d’un maire, que les conditions dans lesquelles se profile l’élection ne sont pas celles du pluralisme, mais de la discorde. « Il est temps, lit-on, que cesse ce vrai
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