Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
Vom Netzwerk:
journal à la criée !
    En plus, on a eu droit à quelques litres d’essence pour distribution gratuite de presse. Dans la rue, on a été assez bien accueillis. À ceux qui s’étonnaient, j’ai répondu que le boulot d’un journaliste, c’était d’écrire et pas de se taire dans des moments tels que ceux que nous vivions. Cela a eu l’air de convaincre.

    Lundi ou mardi, je ne me souviens pas exactement du jour, parce que les jours actuellement se ressemblent tous, Mitterrand était à l’Assemblée nationale. Je ne sais pas pourquoi, il a décidé de remonter à pied le boulevard Saint-Germain avec Georges Dayan pour aller déjeuner chez Lipp. Il y a été, accompagné d’un ou deux journalistes, dont moi. Je n’oublierai jamais ce kilomètre de rue parcouru en sa compagnie ! Il y avait deux sortes de gens qui nous croisaient : quelques-uns des passants (rares, il est vrai) le félicitaient, mais l’un d’eux l’a injurié longuement, les dents serrées, avec haine. Je n’ai jamais vu ça. Mitterrand m’a dit qu’il s’en foutait complètement, que cela n’avait pas d’importance. C’est tout juste s’il ne m’a pas consolée !
    Lorsque nous sommes arrivés chez Lipp, le patron, Roger Cazes, qui, la semaine précédente encore, assurait Mitterrand de son soutien, s’est approché de la table. Son visage reflétait la tristesse et presque la colère. « On ne brûle pas les voitures, a-t-il dit, non, pas les voitures ! » a-t-il dit comme si c’était Mitterrand qui les avait incendiées !
    Georges Dayan a fait mine de rire, mais, après le déjeuner, il m’a dit quelque chose comme : « Le vent tourne ! »

    Oui, mais dans quel sens ? Je ne connais pas les grands journalistes de l’ORTF, mais quelques âmes attentionnées nous disent que beaucoup des plus gaullistes d’entre eux (parce que, tout de même, il ne faut pas exagérer, je n’ai pas l’impression que les journalistes en place au journal télévisé depuis 1958 soient tous gauchistes, ou alors ils se cachent bien, depuis le temps !) ont choisi de se mettre en grève parce qu’ils ne savent tout bonnement pas comment ce truc va se terminer. Ils préfèrent se taire, en attendant, pour ménager la chèvre et le chou.

    Je n’ai pas écrit tout simplement parce que je suis allée à la Sorbonne passer une vingtaine d’heures en plusieurs jours, dans l’idée de voir s’il était possible de sortir un livre, le plus vite possible, sur les slogans de mai, sur toutes ces phrases qui sont punaisées ou collées au mur 20 . Il faut y aller pour comprendre l’invention, l’imagination, les frustrations, aussi, des jeunes d’aujourd’hui.
    Toutes ces citations, assez romantiques finalement, tranchent sur l’atmosphère de guerre civile qui s’est installée depuis le vote de la motion de censure, laquelle n’a pas modifié la rébellion des uns ni l’inefficacité des autres.

    Hier, allocution du général de Gaulle qui n’a rien changé à rien 21 , personne ne croyant que le référendum annoncé puisse modifier en quoi que ce soit la situation.
    Cette situation, d’ailleurs, quelle est-elle ? Je serais bien incapable de le dire. Des manifestations énormes, d’une ampleur jamais vue, qui dépassent celles, déjà assez violentes, qui ont eu lieu pendant la guerre d’Algérie. La France en grève : ça, c’est plus spectaculaire encore ! Je ne croyais pas cela possible, ou du moins pas à cette dimension.
    Jean-François Kahn, qui est sur le terrain des grèves, me dit qu’on exagère beaucoup, que tout le monde est loin d’être concerné, queles gens se planquent plus qu’ils ne participent au mouvement. Est-ce que la droite a disparu ? Est-elle planquée ? Terrorisée ? Comme Roger Cazes, le patron de Lipp, saisi d’angoisse face à toutes ces choses qui ne se font pas, comme brûler des voitures ?
    Hier soir, pendant que des heurts entre les étudiants et la police continuaient au Quartier latin et ailleurs, même rive droite, Charles Hernu a demandé à Mitterrand s’il voulait, puisque son appartement est à deux pas des rues très fréquentées en ce moment, aller voir de près ce qui s’y passait, peut-être dans le but de calmer les manifestants. Mitterrand n’était d’abord pas chaud, puis il a refusé tout net. Il ne se voyait pas arpenter les rues, même après que le calme y fut revenu. Sans compter que, depuis l’affaire de l’Observatoire, il craint les

Weitere Kostenlose Bücher