Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Moscou : Waldeck Rochet a donc été opéré d’une tumeur au rein que n’avaient pas diagnostiquée ses médecins français. On le savait souffrant de rhumatismes insupportables : il l’avait confié à Guy Mollet à l’automne dernier. On sait maintenant que, le teint blafard, amaigri, il était parti à Moscou avec Georges Marchais le 4 juin, après le premier tour, pour assister au forum international des partis communistes. Il a eu à peine le temps de prononcer la première de ses interventions prévues, le 6, et il a été opéré le 17, laissant Georges Marchais préciser la position – sur la corde raide – du PC français sur l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968.
    Inutile de dire que je n’ai aucun renseignement sur ce qui s’est passé à Moscou ! Tout de même ! Aller se faire soigner à Moscou... Si ce que m’ont dit depuis l’été 68 Roland Leroy et Marchais lui-même est vrai, s’il est apparu à un moment comme désapprouvant, condamnant l’intervention à Prague, cela me paraît bien imprudent ! Je n’ose pas croire que... Je n’ose pas l’écrire... Mais, tout de même, voir Marchais revenir seul !

    13 juillet
    Congrès socialiste d’Issy-les-Moulineaux. Où l’on revient à la recherche d’une alliance avec le PC. Et où l’on change de premier secrétaire : Alain Savary 36 prend la place qui était dévolue à Pierre Mauroy.
    C’était couru : lorsqu’il avait cédé provisoirement la place à Pierre Mauroy, Guy Mollet ne s’attendait pas à ce que son protégé d’alors assure la relève avec tant de célérité et, je dirais, d’allégresse. Coup classique : il lui a rappelé qui était le patron !
    Il en profité pour faire de Mauroy le bouc émissaire : il l’a accusé d’avoir été le premier à se rallier à la candidature Defferre (il faut le rappeler : pour éviter que Guy Mollet n’impose Christian Pineau !) : il fallait faire porter le chapeau à quelqu’un, et Mauroy a été ce quelqu’un.
    Alain Savary, en revanche, a bénéficié de la mise à l’écart de Mauroy.
    J’ai beau m’attendre à tout, je suis stupéfaite que, un mois après avoir apporté à Alain Poher son soutien dans la course à l’Élysée, le Parti socialiste affirme avec force son désir de ne pas « rechercher des combinaisons centristes ». Deux mois après s’être opposé à une candidature unique de la gauche, le PS admet que l’union de la gauche est l’« axe normal » de la stratégie des socialistes !
    Guy Mollet tel qu’en lui même : en décembre il ne trouvait pas que le PC pouvait fournir des garanties suffisantes pour que soit constitué un gouvernement commun. Dimanche, le même me disait, patelin, la main sur le cœur : « On a dit que les communistes français ne changeraient jamais, c’était oublier que l’homme est perfectible ! »
    Il paraît qu’Alain Savary, qui a joué à fond le jeu de Guy Mollet, n’est pas tout à fait dupe. Un de ses conseillers, dont je ne connais pas le nom mais qui ne l’a pas quitté tout au long du congrès, me dit : « Ne pensez pas qu’Alain méconnaisse les difficultés du sort qui l’attend. Il est le nouveau patron de la cité Malesherbes, mais il craint d’y être en résidence surveillée ! »

    23 juillet
    Curieux : après la formation du gouvernement, Chaban procède à des tas de réajustements de son équipe ministérielle. Aujourd’hui, Gabriel Kaspereit vient d’être nommé secrétaire d’État à la moyenne et petite Industrie et à l’artisanat. Le 18 juillet, Marie-Madeleine Dienesch se voyait attribuer le secrétariat d’État à l’Action sociale et à la Réadaptation. Au début du mois, Jean Bailly devenait secrétaire d’État au Commerce. Comme si Chaban s’apercevait, au fil des jours, qu’il n’avait pas bien fait son boulot. À cette nuance près que les trois nouveau nommés sont tous UDR. Rue de Lille, sans doute a-t-on jugé que 27 postes ne suffisaient pas au parti majoritaire.

    24 juillet
    Les Varois l’ont appelé « Colombey-sur-Mer » : Pompidou a installé ses quartiers d’été dans le fort de Brégançon, domaine de l’État situé à l’ouest du cap Bénat, à deux pas de la petite commune balnéaire du Lavandou. Pour la première fois depuis onze ans, deux Conseils des ministres seront ajournés, les 13 et 20 août.
    Pas de vacances, en revanche, pour Chaban-Delmas, ni pour Giscard qui a pris ses quartiers d’été au