Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
Vom Netzwerk:
revanche : Defferre pensait que les communistes auraient peur de se confronter au suffrage universel. C’est fait, ils ont gagné ! Et pan pour Guy Mollet !
    Voilà pour le premier tour.
    Cet après-midi, le PC crée la surprise avec la consigne d’abstention qu’il vient d’adopter. J’entends évidemment d’ici les partisans de Poher dire que cette consigne a été imposée par l’URSS, qui craint l’atlantisme du président du Sénat. Je n’ai pas les moyens de prouver le contraire : je suis sûre, néanmoins, que des considérations internes au PC français justifient l’abstention communiste.
    Au sein du bureau politique, Étienne Fajon, par exemple, me fait la démonstration suivante : « Si nous demandons à notre électorat de voter Poher, 15 % de notre électorat s’abstiendra quand même. Pompidou sera de toute manière élu, et il pourra se vanter d’avoir triomphé des communistes ! Pas la peine de lui faire ce cadeau ! »
    D’autres – François Billoux 33  – ajoutent une réflexion tactique : « Si nous soutenons Poher, même indirectement, nous offrons un alibi à ceux des socialistes qui ont voté pour lui dès le premier tour, Guy Mollet aura eu raison. Il faut couper court à toute velléité d’alliance des socialistes avec le centre. »

    Pierre Mauroy, de son côté, fait, lorsque je lui téléphone, la constatation suivante : « L’électorat de la SFIO s’est cassé : 5 % sont restés à Defferre, 300 000 voix se sont portées dès le premier tour sur Jacques Duclos, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, et 7 % ailleurs, dans l’Aude par exemple, ont voté pour Alain Poher. » Moyennant quoi, hier le 2, le comité exécutif du PS a voté pour le désistement immédiat de Gaston Defferre en faveur d’Alain Poher.
    Cette fois, il me semble que la gauche ne s’en remettra pas. Elle a volé en éclats, une partie se dirige vers le centre, la SFIO ne cesse de perdre des voix depuis 1946. Les conventionnels en sont réduits à une poignée de fidèles restés auprès de François Mitterrand, qui lui-même a vu réduites à néant ses espérances en l’union de la gauche. Pourtant la défaite de Defferre, appuyé par Guy Mollet, ne doit pas lui faire un extrême déplaisir.

    14 juin
    La campagne roule, Poher s’enfonce, Defferre a disparu, Guy Mollet est à Arras, Mitterrand se tait. Une seule inconnue : le comportement des électeurs communistes. L’abstention est-elle une consigne de vote possible pour les 22 % de gens qui se sont défoncés pendant la campagne ? Il est vrai que Duclos, en tirant sa révérence, a trouvé un formidable slogan pour décourager les communistes d’aller aux urnes. Il avait employé la formule auparavant, je crois, en décrivant ses deux rivaux de droite. Entre les deux tours, elle a fait merveille : « Pompidou-Poher, a-t-il dit, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. » On ne peut pas mieux trouver : court, compréhensible par tous, impertinent, rigolo. Jacques Duclos aura mis de bout en bout les rieurs de son côté.

    15 juin au soir
    La réponse est claire. Pompidou : 57 % ; Poher : 42 % ; abstentions : 30 %. L’électorat communiste a suivi, surtout dans les municipalités communistes, la consigne du parti. D’autres ont voté blanc, ce que L’Humanité , à la veille du scrutin, les avait autorisés à faire.
    Cinq mois à peine après les phrases prononcées à Rome, Georges Pompidou est donc président de la République.
    Qu’est-ce que je pense de lui ?
    À vrai dire, je ne le connais pas, c’est même celui, parmi tout le personnel politique français, que je connais le moins : je ne l’ai jamais suivi dans un de ses déplacements, je n’en ai jamais entendu parler, dans le domaine privé, que par Guy Schoeller et Christian Bourgois, ses amis, qui l’ont toujours dépeint comme un homme cultivé, disert, aimant la bonne chère (« les plats canailles »), les copains, Saint-Tropez, le soleil. Et la poésie : car Pompidou est l’auteur d’une anthologie, assez classique, peut-être trop, de la poésie française. C’est ce qui l’a rapproché, lorsqu’il était élève à l’École normale supérieure, de Léopold Sédar Senghor 34 .
    Mais, enfin, tout ce qui vient de se passer montre qu’il est beaucoup plus retors, beaucoup plus déterminé qu’on ne le pensait. Il songeait à se présenter en 1965 avant que le général de Gaulle n’aitpris sa décision, il s’est

Weitere Kostenlose Bücher